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des hostilités, n’avait qu’à s’en applaudir. Toute rivalité lui était ainsi épargnée, puisque c’était le nôtre et celui de l’Espagne qui, privés de toute défense par la destruction de notre marine militaire, étaient réellement réduits aux abois. Encore quelque temps d’une lutte dans de telles conditions, et les croisières anglaises donnant la chasse sans résistance dans la mer des Indes et dans l’Océan-Atlantique, il ne resterait plus vestige dans ces parages d’un navire parti de Nantes, de Bordeaux ou de Cadix, et le commerce anglais aurait recueilli partout l’héritage de la clientèle laissée vacante.

C’était déjà une grande déception pour ces hardis négocians que de perdre, par le rétablissement de la paix, l’espérance d’une domination absolue dont ils goûtaient déjà la jouissance anticipée. La moindre compensation que le ministère britannique leur dût, c’était d’insister pour rétablir dans son intégrité le régime qui présidait avant la guerre aux relations commerciales des grandes puissances maritimes : régime combiné par l’Angleterre elle-même avec une âpreté rigoureuse dans les grands traités du commencement du siècle, au moment de l’apogée de sa puissance et de sa gloire. C’était à l’Espagne surtout qu’elle en avait imposé le poids, en lui faisant payer cher, par une série de prescriptions vexatoires, aux dépens de sa suprématie dans le nouveau monde, la reconnaissance de la royauté de Philippe V. Parmi ces règlemens que la force seule avait pu faire accepter et qui avaient toujours été supportés avec impatience, il en était de très étranges, tel que celui qui accordait à une compagnie anglaise le droit exclusif d’introduire des esclaves noirs dans toute l’Amérique espagnole ; d’autres qui nous choquent moins aujourd’hui, mais qui paraissaient alors plus contraires aux idées reçues, comme la permission d’introduire chaque année dans les ports de ces mêmes contrées un vaisseau de commerce sous pavillon britannique, au préjudice du monopole commercial revendiqué alors par toutes les métropoles sur leurs colonies. C’est ce qu’on nommait dans la langue diplomatique du temps les contrats de l’assiento et du vaisseau de permission. Toutes ces exigences ne pouvaient manquer d’être reproduites dans le programme des négociateurs anglais, et nul doute qu’elles ne fussent suivies de vives protestations de la part de l’Espagne, auxquelles la France, pour ne pas délaisser son alliée, serait obligée de s’associer au moins en apparence. Autant de sujets de litige dont la discussion pouvait retarder indéfiniment et peut-être faire échouer toute solution pacifique.

Ajoutons que l’envoyé anglais Sandwich, dont les dispositions personnelles et le caractère étaient connus (puisque Puisieulx lui-même l’avait vu à l’épreuve dans les conférences de Bréda et dans