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leurs entretiens particuliers de Liège), n’avait fait preuve, ni dans l’une, ni dans l’autre occasion, d’une humeur bien conciliante. Dans les démêlés intérieurs de sa cour, bien loin qu’il eût pris comme Kaunitz le parti des concessions et de la paix, c’était lui que le roi George avait choisi pour confident de ses pensées belliqueuses, à l’insu et au grand déplaisir de ses propres ministres et pour se mettre en garde contre leurs faiblesses : ce fait ne pouvait être ignoré, puisque c’était le motif même de la retraite d’Harrington et de Chesterfield, qui l’avaient publié avec une certaine amertume[1].

Dût Sandwich arriver cette fois, comme on l’annonçait, animé des meilleurs sentimens pour la paix, il n’aurait pas la liberté de s’y livrer sans réserve, car il allait être suivi et surveillé de près par ses collègues de Sardaigne et de Hollande, le comte de Chavannes et Bentink, qui s’attachaient à ses pas et remettaient leur fortune entre ses mains : l’un et l’autre étaient très inquiets à des points de vue différens de ce que pourrait réclamer et obtenir la France ; l’un ayant l’instruction de son maître de ne rien laisser distraire de ce que la guerre ou les traités lui avaient acquis, l’autre soigneux de ne rien souffrir qui pût compromettre la popularité du stathouder auprès de la faction fanatique et tumultueuse dont il tenait le pouvoir.

On le voit, les deux transactions clandestines et séparées entre lesquelles Saint-Séverin avait à se prononcer, étaient loin de se présenter sous des auspices également favorables. Celle dont Vienne avait pris l’initiative, et dont Kaunitz était l’intermédiaire, se trouvait facilitée d’avance par les dispositions réciproques des deux cours et de leurs agens, et c’était celle aussi dont la conclusion, si elle avait lieu, serait certainement accueillie avec le plus de faveur par l’esprit public en France : car les humiliations infligées par l’Angleterre à notre marine et les souffrances aiguës de notre commerce causaient dans tous les rangs de la société française une irritation qui rendait presque impossible une réconciliation sincère entre les deux peuples ; au contraire envers l’Autriche vaincue sur tous les théâtres et réduite à l’impuissance de nuire, des ménagemens même excessifs avaient un air de condescendance qui flatteraient l’amour-propre national. L’une des deux voies semblait donc tout ouverte, tandis que dans l’autre on n’apercevait qu’obstacles, peut-être pièges et un terme éloigné autant qu’incertain.

Il reste à faire comprendre comment la solution qui semblait

  1. Voir, sur les rapports de Sandwich avec le roi et avec les premiers ministres à l’insu du ministre des affaires étrangères, Chesterfield’s Correspondance, t. III, p. 220.