Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui était écrit dans le contre-projet que ce qui ne s’y trouvait pas. On avait retranché, sans en faire même mention, l’article secret du projet primitif par lequel la France aurait dû s’engager à ne pas apposer sa garantie au traité de Dresde et à l’incorporation de la Silésie dans la monarchie prussienne, et ce supplément tenant plus au cœur de l’impératrice que la pièce tout entière, il était à craindre que le document ainsi mutilé ne perdît beaucoup de sa valeur à ses yeux.

La nécessité de demander et d’attendre de nouvelles instructions après un entretien important n’est souvent qu’un prétexte pour éluder une explication embarrassante ou attendre un événement décisif ; mais quand le télégraphe n’existait pas, c’était un motif de retard qui devait paraître naturel. Dans le cas présent, l’absence des ministres d’Espagne et de Gênes en fournissait un autre qui ne l’était pas moins pour ajourner l’ouverture des conférences publiques. De là un temps d’arrêt de quelques jours pendant lequel, entre ambassadeurs séjournant dans le même lieu et se rencontrant à toute heure, des entretiens privés pouvaient avoir lieu et même n’auraient pu guère être évités sans affectation. Il y en eut plusieurs de ce genre entre Kaunitz et Saint-Séverin, et leurs récits laissent clairement voir qu’il s’établit entre eux une sorte d’inclination réciproque et un sincère désir de s’entendre qui n’apparaissent pas au même degré dans les relations correspondantes imposées avec le ministre anglais par cette négociation en partie double. Les deux agens se mettent en confiance, autant que cela est possible à des diplomates, et se livrent entre eux à de véritables épanchemens. Seulement comme les propos qui leur échappaient dans cette intimité improvisée auraient peut-être paru un peu trop vifs à leurs supérieurs, ce n’est jamais, dans leur correspondance, celui qui les tient, mais bien celui qui les entend, qui les rapporte ; ainsi c’est Kaunitz, écrivant à Marie-Thérèse, qui nous apprend que Saint-Séverin ne fait pas difficulté de faire avec lui une critique sévère de la politique de d’Argenson. — « Le comte de Saint-Séverin, dit-il, ne cherche pas à dissimuler la vérité, il reconnaît que le précédent ministère s’est conduit d’une façon absolument indigne envers Votre Majesté Impériale et Royale et a imprimé ainsi à sa mémoire une souillure bien difficile à effacer. »

C’est encore lui qui nous fait savoir que Saint-Séverin convient qu’après la paix conclue, « le système politique de l’Allemagne devra être modifié, qu’il se formera une puissante ligue protestante à laquelle il faudra opposer une ligue catholique capable de le tenir en respect. » — Mais c’est Saint-Séverin qui fait connaître à Puisieulx que Kaunitz s’excuse de ne pouvoir plaider assez