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en laisser une attestation écrite. — « A quoi bon ? disait-il. La France n’a pas été mêlée aux traités de Dresde ni de Breslau, dont elle a souffert et dont elle n’a eu connaissance qu’après qu’ils étaient conclus : elle n’a pas à retirer une adhésion qu’elle n’a pas donnée. Son silence équivaut à l’abstention qui lui est demandée. — A quoi Kaunitz répondait comme le fit dans une occasion pareille un diplomate aussi fameux que lui : « Si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant. » Mais Saint-Séverin fut inflexible, tout en donnant à son engagement verbal une telle netteté que Kaunitz, sans être autorisé à s’en déclarer satisfait, dut laisser voir qu’il y reconnaissait une valeur véritable.

Une autre difficulté était plus grave ; mais celle-là même prouvait qu’on regardait comme possible, et même comme probable, le cas où on pourrait s’accommoder sur toutes les autres ; car il s’agissait uniquement de fixer les conditions et les délais dans lesquels devrait s’opérer, une fois les préliminaires de paix signés, la restitution promise des Pays-Bas. Kaunitz la demandait immédiate. Saint-Séverin entendait l’ajourner jusqu’à la signature de la paix générale, et donnait pour ce retard la meilleure raison du monde. La remise des Pays-Bas ne devait-elle pas avoir essentiellement pour contre-partie la restitution pareille des conquêtes de la marine anglaise en Amérique ? Comment l’un des objets de l’échange serait-il donc livré avant l’autre ? Or, à l’égard de ces conquêtes anglaises, l’Autriche ne pouvait rien promettre de certain, ni surtout rien exécuter à elle seule, puisque ni Louisbourg, ni le Cap-Breton n’étaient en sa possession. Sans doute il était moralement certain que l’Angleterre, délaissée par son principal auxiliaire, ne pourrait longtemps continuer, au moins sur terre, une lutte trop inégale qui exposerait sa fidèle amie la Hollande à tous les maux d’une invasion. Son adhésion à des préliminaires signés sans elle, ou plutôt contre elle, ne pouvait manquer d’avoir lieu tôt ou tard ; mais sans la refuser, elle pourrait la faire attendre, et quelques mois lui suffiraient pour achever sur mer ce qui restait de la marine de la France, et en prolongeant l’agonie de son commerce, le condamner à une ruine irrémédiable. Et dans cet intervalle, que de difficultés pourraient s’élever avant que les bases de paix qu’on allait poser fussent converties en articles de traités définitifs ! Jamais créancier prudent s’est-il dessaisi d’un gage avant le remboursement ?

Kaunitz, de son côté, éprouvait une répugnance qu’on peut concevoir à rester ainsi, pour l’un des objets les plus importans de la paix qu’il allait signer, à la discrétion de l’Angleterre, et cela, au moment où il était en train de l’offenser peut-être mortellement.