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coupable à ses véritables juges, les jurés de la cour d’assises. Ces derniers pourront-ils, alors même qu’ils le voudraient, faire abstraction d’une consultation deux fois émise et à laquelle la publicité des débats ajoute encore de l’autorité ? Ne seront-ils pas, malgré eux, influencés par ces discussions préparatoires et conserveront-ils la lucidité d’esprit si nécessaire à ceux qui ont entre les mains l’honneur ou la vie d’un de leurs semblables ? Et lorsque le grand jury, en formulant contre le malheureux le true bill, dont nous parlerons plus loin, l’aura à son tour, vingt-quatre heures peut-être avant la séance, accablé d’une troisième présomption de culpabilité, n’est-il pas vrai qu’il y aura des chances pour que l’arrêt définitif ne soit qu’un reflet de tant d’opinions répétées ? Sans doute, on peut invoquer le respect unanime qui s’attache en Angleterre à la situation d’un accusé. La presse, nous ne l’ignorons pas, s’abstient avec soin d’accoler au nom de l’individu soupçonné des épithètes violentes et injurieuses. Pour tout le monde, il est, il reste simplement le prisonnier, et à cet égard la discipline est strictement observée. Mais les jurés sont des esprits simples sur qui la subtilité des termes n’a guère de prise. Peut-être leur conscience est-elle trop susceptible de docilité pour résister aux pressions morales et se dégager des indications que trois juridictions successives lui ont apportées. On comprend très bien la comparution devant le magistrat de police ; elle gagnerait pourtant à être plus brève, à ne pas empiéter sur le débat solennel des assises. Mais pourquoi donc la cour du coroner ne se borne-t-elle pas à déterminer les causes du décès ? pourquoi rend-elle un verdict contre l’accusé ? Où est la nécessité de cette procédure, qui ressemble si fort, jury à part, à la précédente, qu’il n’est pas rare qu’un conflit survienne entre les deux ? Oui, nous connaissons un cas où le président de la police court, saisi le premier d’une affaire criminelle et ayant ratifié l’arrestation du prévenu, refusa de le laisser sortir de prison pour comparaître devant le coroner. Ce fut vainement que ce dernier insista, qu’il rappela à son contradicteur les exigences de la concurrent jurisdiction. De guerre lasse, on convint de soumettre la difficulté à l’appréciation souveraine du lord chancellor. Douze mois se sont écoulés, et la plus haute autorité judiciaire du royaume n’a pas encore fait connaître son avis.

Revenons à Conway. L’enquête du coroner est bientôt reprise, les témoins sont longuement entendus. Déjà le système qu’adoptera plus tard le défenseur et qui paraît le seul possible se montre naïvement à l’audience comme si on tenait à en diminuer d’avance la valeur, à laisser à la réflexion le temps d’en découvrir les faiblesses. L’avocat cherche à arracher à la femme qui a vendu le sac