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de convictions individuelles, le président n’aurait pas manqué de l’arrêter. Tout cela est excellent et rend moins sensible la contradiction où tombe, malgré lui, l’avocat de la couronne. Il invite ses auditeurs à se dégager des opinions dont ils ont pu recueillir ailleurs l’expression écrite ou parlée et, en même temps, parce qu’il prend la parole avant tout le monde, il est obligé de se référer à ce qui a été dit dans d’autres enceintes et d’invoquer des témoignages qui n’ont pas été recueillis à l’audience et dont les jurés ne doivent pas connaître un seul mot. En sorte que c’est de l’accusation ou, si cette appellation est trop forte, d’une nomenclature de faits et de preuves rigoureusement déduits, que le jury apprendra tout d’abord des événemens qu’il ignore. Il ne sera pas facile à la défense d’ébranler un système qui n’emprunte rien des élémens apportés à la séance, mais qui y arrive, au contraire, machiné et organisé de toutes pièces.

Passons sur la comparution des témoins. Un à un ils sont appelés, racontent à la cour ce qu’ils savent. Ils ont été cités à la requête de l’accusateur, dont c’est le devoir impérieux d’appuyer de dépositions concordantes les allégations qu’il a produites. La question est de savoir s’il n’eût pas été préférable de commencer par là. Comme il l’a fait devant les tribunaux précédens, le défenseur surveille de très près la forme et la substance des témoignages. La moindre contradiction, l’oubli le plus léger et en apparence le plus insignifiant prendront, dans sa bouche, une importance considérable et, par une subtilité ingénieuse, il en tirera, au besoin, des conséquences favorables à son client. Vers trois heures, l’audition étant épuisée, le juge déclare que, dans une affaire pareille, tout ce qui pourrait ressembler à de la précipitation ou à de la hâte serait choquant et incongru au suprême degré. Il remet au lendemain la plaidoirie, le résumé et l’arrêt, et les jurés n’entendent pas prononcer le renvoi sans mélancolie, car ils auraient préféré que tout fût terminé le jour même. Ils passeront la nuit à Saint-George’s-Hall afin que nulle influence extérieure ne trouble le recueillement où d’anciennes coutumes veulent qu’ils s’absorbent. Ils s’inclinent donc sans murmures devant la décision du président, car ce sont des citoyens essentiellement respectueux de l’autorité, mais ce sont aussi des époux modèles, un peu offusqués de découcher, et pour qui l’hospitalité administrative a moins d’attraits que le repas du soir pris en famille et que les douceurs de la chambre conjugale.

Nous voici arrivés au dernier jour du procès. Le dénoûment est proche, et dans le prétoire se presse une foule plus nombreuse encore que celle de la veille. A dix heures moins un quart, le jury est