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depuis lors, elle resta l’apanage des enfans royaux, sauf à revenir à la couronne quand se produirait un manque d’héritiers mâles.

Voici, pour ne plus y revenir, la liste de ceux qui en bénéficièrent. Le premier titulaire étant mort sans enfans, Charles VI donna l’apanage à Jean, son deuxième fils, et à la mort de celui-ci, à son quatrième fils, Charles, comte de Ponthieu, depuis Charles VII. Le frère de Louis XI, le duc Charles, en hérita en 1461 ; à sa mort, il revint à François de France, son troisième fils, puis à Jeanne, femme de Louis XII. En 1517, le duché fut donné à Marguerite de Navarre, sœur de François Ier. La sœur d’Henri II, Marguerite de Savoie, l’obtint ensuite de 1550 à 1576 ; puis, François de France qui prit le titre de duc d’Anjou, et mourut en 1584. Henri IV l’accorda en usufruit à la veuve de son prédécesseur, après quoi le duché fut rattaché à la couronne pour ne plus s’en séparer, quoique plusieurs princes du sang aient encore porté le titre de duc de Berry. « Chose étrange, dit M. Raynal, jusqu’à la révolution de 1789, aucun des princes qui l’obtinrent par suite de concessions personnelles ne laissa de postérité ; comme si, par une loi mystérieuse, la province, qui avait donné tant de preuves de sa fidélité à la couronne, n’avait jamais dû en rester longtemps détachée. »

Le nouveau duc de Berry, Jean, en otage à Londres, ayant obtenu d’Edouard III un sauf-conduit, passa le détroit et vint prendre possession de la province dont, pendant soixante ans, il devait garder le titre et la jouissance. Il la ruina, car ardent amateur d’objets d’art, de riches ciselures, de reliques précieusement enchâssées, grand constructeur, grand jouisseur et dévot avec cela, il puisa dans toutes les poches en pressurant le pays autant qu’il lui fut possible de le faire. Comme à peu près tous les Valois, le duc Jean de Berry aimait à bâtir. Quand à Paris son royal frère, Charles V, élevait le château neuf du Louvre, le Pont-Neuf, la Bastille, sans compter les résidences royales édifiées hors de la capitale, à Bourges, le duc Jean augmentait les dépendances et les fortifications de la Grosse-Tour ; il commandait aux sculpteurs de tailler dans la pierre le drame religieux qui ennoblit le portail de Saint-Étienne ; il reconstruisait le château de Concressault, et se bâtissait un palais qui fut une merveille et qu’il complétait par une autre merveille, la Sainte-Chapelle de la cour de Bourges. Mais où il donna plein cours à sa passion pour le bâtiment, c’est en construisant, vers 1387, le château de Mehun-sur-Yèvre. Les sculptures de cette résidence, ses délicates statues, ses tourelles élancées, ses créneaux et ses mâchicoulis élégans formant galerie tout autour des remparts, ne rappellent plus rien de l’aspect rébarbatif des sombres forteresses de la féodalité. Près de Mehun, pour les délassemens du noble