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duc, fut créée une garenne où l’on assembla, à peu près comme dans l’arche de Noé, tout animal susceptible d’être chassé à tir et à courre, y compris le chamois. Plus tard, Charles VII fit de ce château sa résidence favorite ; il n’en reste plus que des ruines.

Qui pourra dire ce que sont devenus les meubles, les tapisseries, les tableaux, les livres rares, la riche argenterie et les bijoux qui encombraient la fastueuse résidence de Jean le Magnifique ? Magnifique ! Le duc précipita les hommes de sa province dans une telle pauvreté, tant de malédictions s’attachèrent à sa mémoire, qu’il eût été plus sage de ne pas le qualifier de la sorte. Avec la misère qui accablait les villes et les campagnes, comment de si riches collections ont-elles pu s’amasser, et tant d’édifices splendides s’élever ? Par une oppression incessante, la spoliation de quiconque possédait.

Comme la guerre venait d’être déclarée une autre fois avec l’Angleterre, Charles V ouvrit les hostilités dans l’Aquitaine anglaise. Châteauroux et d’autres localités voisines étant villes frontières, de grands désastres les frappèrent. Le duc Jean, craignant que ses collections ne fussent mises au pillage et ses bâtisses suspendues, supplia son royal frère de le protéger. Bertrand du Guesclin qui, en ce moment, et contre ses habitudes, ne se battait, ni ne prenait aucune ville d’assaut, fut désigné pour le secourir. Il reçut l’ordre du roi de France de se rendre d’Espagne, où il était, à Paris, puis d’aller rejoindre devant Sainte-Sévère les ducs de Berry et de Bourgogne, qui y assiégeaient un corps important de troupes anglaises.

Avant de se rendre sous les remparts de cette ville, Du Guesclin faisait capituler Limoges, enlevait Saint-Yrieix-sur-l’IsIe et Brantôme dans le Périgord. Après avoir vendu sa vaisselle d’argent, comme il vendit dans sa jeunesse les bijoux de sa mère pour se créer des subsides que le souverain lui refusait, il arrive à Vire, rendez-vous d’une armée qu’on lui confiait. Il repart aussitôt avec sa troupe et tombe sur les Anglais à Pontvallain près du Mans ; il les taille en pièces, et fait leur chef prisonnier en compagnie de beaucoup d’autres nobles.

Depuis Crécy et Poitiers, les Français n’avaient plus osé attaquer leurs ennemis en rase campagne, aussi le résultat de cette victoire fut-il très grand, car il détachait de la cause du roi d’Angleterre bien des villes qui hésitaient encore à se déclarer en notre faveur. Du Guesclin revint à Paris, en triomphateur, pour remettre au roi les prisonniers faits à la bataille de Pontvallain. Ils furent laissés libres d’aller et venir sans autre lien que leur parole. « On ne les mit point en prison, dit Froissart, en fers, ni en ceps, ainsi