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Elle s’y trouvait sans amies ; la seule qu’elle y eût intimement connue, l’ex-reine Jeanne, la répudiée, devenue simplement duchesse de Berry, s’était retirée, ainsi que je l’ai dit, dans son couvent de l’Annonciade, à Bourges. Pour s’en rapprocher, Charlotte acheta, non loin de cette ville, des seigneurs de Culan et par acte du 20 juin 1501, la terre de La Motte-Feuilly. Une enfant du nom de Loïse était née de son union avec César. Toutes deux vinrent habiter ce domaine, mais après un court séjour à Issoudun, ville dont Borgia était devenu le seigneur par son mariage.

Au temps où la duchesse Charlotte de Valentinois vint à La Motte-Feuilly, de grands bois couvraient le pays ; des loups les peuplaient comme il y a peu d’années encore, et l’unique pièce d’eau que l’on vît dans le voisinage, l’étang de Rongères, n’était animée que par des passages de grues qui se plaisent sur ces rives désertes. S’il est un ciel exempt d’orages, une atmosphère tiède et calme, des nuits silencieuses aux claires étoiles, des levers et des couchers de soleil empreints d’une grande tristesse, c’est bien dans cette région du centre de la France qu’on les rencontre. A celle qui voulait oublier le monde et s’en faire oublier, le site convenait. La duchesse s’en éloignait parfois pour se rendre à cheval ou en litière à Bourges, au couvent des Annonciades. Elle s’y rencontrait avec des femmes de qualité également éprouvées par des tristesses morales. Citons l’ex-reine de Hongrie, séparée de son époux comme Jeanne l’était du sien, Mines de Chaumont, Jeanne Mallet de Gréville, d’Aumont et bien d’autres grandes dames. Fortifiée par les témoignages de sympathie dont on l’entourait, elle reprenait le chemin de sa retraite avec le pressentiment d’une fin prochaine.

Cette retraite n’était pas cependant dans les conditions de simplicité que ce mot peut faire supposer. Charlotte d’Albret, duchesse de Valentinois, sœur et cousine de rois, y vivait avec un appareil princier. Espérait-elle y voir revenir un jour le duc, son époux ? Le doute n’est plus permis lorsqu’on a lu l’inventaire du riche mobilier qu’elle avait à La Motte-Feuilly[1]. Ses écuyers, tous titrés, étaient au nombre de cinq ; quatre filles d’honneur, toutes les quatre de grande noblesse, faisaient partie de sa maison. Il y avait en outre : un aumônier, un receveur, un clerc de l’argenterie, un sommelier de la paneterie, un tailleur, un tapissier, un clerc de dépenses, deux cuisiniers, un boulanger. Loïse avait sa gouvernante. L’office du clerc de l’argenterie n’était pas une sinécure, car, d’après l’inventaire remis en lumière par M. Edmond Bonnaffé, on trouva dans les coffres du château treize pièces

  1. Inventaire de la duchesse de Valentinois, Charlotte d’Albret, publié par M. Edmond Bonnaffé. Paris, 1878 ; A. Quantin.