Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/930

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un écrivain qui avait déjà cherché le sens de la vie dans le roman, M. Edouard Rod, vient de tracer, dans ses Idées morales du temps présent, la courbe de l’évolution intellectuelle entre les négatifs et les positifs. Appellations bien rigides : plusieurs de ceux dont il prend mesure pourraient, selon le point de vue d’où on les considère, passer de l’un à l’autre camp. Je ne reviens pas sur un livre étudié ici même ; j’en rappelle seulement la conclusion : « Il n’est pas besoin de beaucoup de clairvoyance pour reconnaître que ce courant positif a augmenté en volume et en force de tout ce qu’a perdu le courant négatif. Il a commencé faiblement ; il y a dix ans, on l’apercevait à peine, et les gens sagaces qui aiment mieux lire dans l’avenir que dans le passé prédisaient, non sans une apparence de raison, l’approche d’une ère nouvelle, où l’humanité, ayant jeté ses deux vieilles béquilles, la morale et la religion, s’avancerait d’un pas allègre dans la voie de la libre pensée, sous le soleil de la science. Et voici que les faits sont en train de donner un flagrant démenti à ces augures… Beaucoup d’idées et de croyances, qu’on aurait pu croire tombées définitivement dans la défaveur, presque dans le ridicule, reprennent leur ancienne place. »

M. Rod observe avec sympathie le courant : il ne s’y précipite pas. M. Secrétan l’attendait depuis longtemps ; cette noble intelligence avait tracé la voie où les nouveaux-venus s’engagent. Son livre, la Civilisation et la Croyance, est une œuvre puissante ; le philosophe s’attaque aux plus hauts problèmes théologiques, métaphysiques et sociaux ; il dispute pied à pied le terrain au matérialisme, au positivisme pseudo-scientifique, il leur oppose les réalités de la conscience et de la loi morale. Quelques lignes donneront idée de l’objet et de l’esprit du livre. « Dans un temps où tous les appuis artificiels sont ruinés, où toute liberté, toute propriété, toute existence, sont absolument livrées au bon plaisir des masses, où le pouvoir tombe aux mains des déshérités, qui, trompés par un mirage, pensent trouver dans la destruction de l’ordre social la satisfaction de leurs besoins ; dans un temps où les freins moraux subsistent seuls, où tout dépend plus manifestement que jamais de la volonté des individus, redresser cette volonté, préciser l’idée du devoir, ranimer le sentiment du devoir, en le mettant à sa place, au centre de la vie et de la pensée, telle est la question véritable, tel est l’objet de notre effort. — Dès le début, j’ai cru comprendre qu’aucun système ne pouvait être vrai et n’était acceptable à la raison, s’il ne faisait place aux réalités du monde moral sans les comprimer, sans les travestir, sans en altérer la nature. » Et voici le thème des conclusions : « Que doit-on augurer de la civilisation ? Nous l’ignorons. Ce que nous voyons avec