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Autant que le principal personnage, l’action est ici brusquée et réduite. Nous ne voyons que des effets, jamais de causes. Marie Deloche a séduit George, elle l’a épousé. Mais par quels artifices ? Cela non plus ne nous regarde pas. Du duel entre la coquine et l’honnête homme, les auteurs n’ont point noté les péripéties, les alternatives. Un Dumas fils au moins faisait de son Demi-Monde une comédie d’intrigue et d’une intrigue adroitement filée, où les chances tournent et se balancent, où nous comptons les points et marquons les coups. Et puis la baronne d’Ange mentait avec esprit, avec adresse, avec vraisemblance surtout, et le dénoûment de la comédie n’avait rien de tragique, seulement la désinvolture d’une partie galamment perdue par une belle joueuse.

Les autres personnages de MM. Daudet et Hennique manquent de fond autant que l’héroïne même. Le jeune homme est d’une naïveté singulière, avec ses illusions sur le prix des fleurs rares et des leçons de piano. La petite cousine, qui se sacrifie, est bien moutonnière ; son père, silhouette banale de viveur, ne signifie rien et ne sert à rien. Le rôle même de la comtesse fourmille d’inconséquences. Comment l’austère grande dame a-t-elle eu l’imprudence d’admettre une inconnue de cet âge et de cet air, non-seulement dans son intimité, mais dans celle de son fils et d’un fils qu’elle regardait déjà comme à demi fiancé ? Au second acte, ne pardonne-t-elle pas encore au jeune ménage avec une inconcevable facilité ? Le mariage a beau avoir été béni à l’église, le sacrement n’a pu éclaircir, moins encore effacer le passé de cette femme, un passé que la comtesse a deviné et dont ne s’est pas alarmée seulement sa religion, mais son honneur. Le grief du divorce écarté, assez d’autres subsistent, sinon pour rendre à jamais impossible, au moins pour retarder plus longtemps le retour maternel.

Au milieu de ce drame sentimental, ne retrouvera-t-on nulle part M. Daudet, sa voix mélodieuse et douce, encore adoucie par les années et les souffrances, la chaude effusion de sa poésie et de sa tendresse ? L’hiver dernier, dans l’Obstacle, il était plus lui-même, parce qu’il y était tout seul. Cette fois on ne fait que l’entrevoir, mais ses familiers peuvent encore le reconnaître. A quoi ? à des riens ; par exemple, à ce soupir qu’on croirait échappé des lèvres de Rose Marnaï : « Ah ! les fils ! les fils ! qui nous creusent des rides et nous quittent pour ne plus les voir. » A quoi encore ? A la présence d’un personnage épisodique et charmant, l’abbé Pierre. Depuis quelque temps, les ecclésiastiques se montrent volontiers au théâtre ; on en voit même au Palais-Royal ; c’est sur la scène que je veux dire. Ils y sont traités avec les plus grands égards, avec une parfaite convenance et une intelligence parfois très délicate, ici, par exemple, de leur caractère et de leur mission. C’est une idée heureuse et fine