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Or, chaque année, il meurt pour les hommes, sans phrase ;
Ses membres délicats, un rustre les écrase,
Les foule aux pieds, en fait jaillir le sang divin
Qui rira dans la coupe ; et lorsque, grâce au vin,
Nous oublions remords, soucis, tristesses vaines,
C’est le sang de Bacchus qui flambe dans nos veines.


Je ne saurais guère où trouver plus éloquente réplique de l’Olympe au Calvaire, et dans ce couplet j’admire peut-être moins le lyrisme éclatant, que le parallèle profondément symbolique et hardiment jeté comme dernier argument, comme défense désespérée du paganisme, entre les mythes antiques et les dogmes nouveaux, entre les deux rédemptions inégalement divines, celle du vin et celle du sang.

Sainte Cécile, comme Noël, est accompagnée de musique. Quand je dis comme Noël, je veux dire le contraire, car la musique de M. Vidal était délicieuse, et celle de M. Chausson est vilaine, aigre, maigre, grinçante, mal écrite pour les voix et les instrumens, si je m’en rapporte aux efforts infructueux des unes et des autres, mal écrite aussi pour les oreilles, si j’en crois le témoignage des miennes. D’autres ont autrement entendu, et l’un de nos confrères a recommandé la lecture de cette partition. La lecture, peut-être. Mais l’audition !

Et maintenant (soyons romantiques) et maintenant, messieurs, à la Comédie-Française ! Par le glaive ! de M. Richepin, drame en cinq actes et sept tableaux, en vers. Allons ! comme disait résolument le général, dans le Monde où l’on s’ennuie.

Nous sommes au moyen âge, sur une place de Ravenne, et de Ravenne opprimée par un usurpateur, Conrad le Loup. Deux bourgeois, Petruccio et Galéas, pleurent la liberté. Soudain parait une jeune fille, entraînée par un lansquenet et criant au secours ; c’est Bianca, fille de Galéas. Le père s’élance et tue le ravisseur. Il serait aussitôt pendu, car le tyran vient justement à passer, mais il est sauvé par l’intervention de la douce Rinalda, femme de Conrad. Fous de honte et de rage, Petruccio et Galéas jurent de délivrer la patrie. Or, voici qu’une espèce de bohémien, de mendiant, qui rôdait sur la place, s’offre pour les servir, ou plutôt pour leur commander. Ce n’est point en son propre nom qu’il parle, mais au nom du maître qui l’envoie, Guido, le duc légitime, disparu, et qu’on croyait mort, en réalité vivant et prêt à revenir. Les deux hommes prêtent serment à l’inconnu ; demain, chez Galéas, les principaux citoyens remettront en ses mains la cause de la liberté.

Cet inconnu, cet innominato, quel est-il ? Un frère bâtard de Guido, un patriote, un inspiré, un héros saint et pur, qu’une seule pensée anime : le salut de Ravenne. Pour que Ravenne soit sauvée, que faut-il ?