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particulière à régler dans la confusion commerciale créée en Europe par la récente révolution des tarifs ; elle a une question plus grave, peut-être, cette question de révision constitutionnelle qui, après avoir été un objet de polémiques indéfinies, est entrée dans le domaine des délibérations des pouvoirs publics, qui est en ce moment même devant le parlement de Bruxelles. Assurément, lorsqu’une brave petite nation comme la Belgique a vécu depuis soixante ans sous une constitution qui est pour ainsi dire sa charte originelle, lorsqu’elle a trouvé dans cette constitution la garantie de son indépendance et de sa liberté, à travers les révolutions qui ont remué l’Europe, ce n’est pas d’un cœur léger qu’on peut se proposer de toucher à des institutions éprouvées par une série d’événemens. Le temps marche cependant ; il crée des nécessités nouvelles, et c’est ainsi que la question de révision constitutionnelle a pris naissance. Elle s’est manifestée d’abord, il y a quelques mois, d’une façon assez incohérente, par des agitations populaires, par des grèves et des réunions dont l’objet paraissait être la revendication du suffrage universel. Devant un mouvement conduit avec habileté et assez puissant pour paraître irrésistible, le parlement lui-même s’est ému ; il ne s’est pas refusé à l’examen d’une réforme qui est, après tout, dans la logique des démocraties contemporaines, et le ministère de M. Beernaert, tout conservateur qu’il soit, s’est offert à agir d’intelligence avec les chambres pour préparer une solution. Le mouvement populaire s’est apaisé, la question est restée à l’étude. Seulement, elle n’est pas aussi simple qu’elle le parait, et elle soulève une multitude d’autres questions. Le suffrage universel, c’est un mot ; mais que sera ce suffrage universel ? Sera-t-il absolu et sans limites ? Devra-t-il être soumis à des conditions et offrir certaines garanties ? De plus, la réforme de l’électorat de la chambre populaire n’implique-t-elle pas une réforme du sénat ? Enfin, cette révision ne touche-t-elle pas à tous les ressorts constitutionnels, au pouvoir exécutif lui-même ? Ainsi la question s’est agrandie, et c’est sur cet ensemble de problèmes que le parlement belge a aujourd’hui à délibérer.

Au fond, il est bien clair qu’on n’avait vu d’abord qu’une réforme électorale par la substitution du suffrage universel au régime censitaire, et rien alors n’était plus aisé. Il n’y avait que deux ou trois articles de la constitution à modifier. Ce n’est que par degrés qu’on est allé plus loin, et c’est surtout le chef du cabinet qui, soit par tactique, soit par une secrète logique des choses, au risque de tout compliquer, a étendu le problème par une série de propositions inattendues. Il ne s’agit plus maintenant de trois articles, il s’agit d’une douzaine d’articles de la constitution. Le programme de M. Beernaert est complet ; il touche en même temps qu’au droit de suffrage et à la réorganisation législative, à l’état de la maison royale, à l’admissibilité des princes au sénat, à des circonscriptions de provinces, à l’extension coloniale,