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de terre où reposer leur tête, ils ont les yeux ouverts sur les mondes nouveaux, et ils les contemplent d’un œil avide, reportant involontairement, sur ces nouveau-nés d’hier, les espérances trahies par leurs aînés d’Occident. — C’est le monde anglo-saxon, le plus vaste et le plus dispersé de tous, débordant à la fois les océans et les continens ; déjà, de l’Atlantique à la mer des Indes, il couvre le Nord-Amérique et l’Australie et le Sud-Afrique, et partout sur les terres saxonnes lèvent, au soleil de la liberté britanno-américaine, les semences jetées par Rome, églises, couvens, confréries, séminaires, noviciats. — C’est le monde hispano-américain, où trois ou quatre Europes tiendraient à l’aise, enfant de Rome à l’humeur indocile, adolescent sauvage et turbulent, dont la force et les membres grandissent à travers toutes ses guerres civiles et ses révolutions. — Et vers l’autre pôle et l’autre hémisphère, c’est le monde slave, géant qui s’éveille après dix siècles d’assoupissement et qui étire lentement ses bras au soleil, jeune en dépit des mille années qu’il a obscurément dormi, jeune d’âme et novice de cœur, tout plein de l’ardeur de vivre et déjà jaloux de dépasser ses aînés ; ce monde slave sur lequel Rome a, d’ancienne date, plus d’une prise, et qu’elle ne désespère pas de ramener à elle, tout entier, avec le Slave russe, le plus intimement chrétien peut-être des peuples contemporains, celui dont l’Évangile a le mieux pénétré les moelles et qui, au fond de ses moujiks, semble garder des trésors de charité et des réserves de loi auxquelles peut venir un jour se réchauffer la vieillesse de notre Occident. — C’est encore l’Afrique, le massif continent noir, que nous aurons bientôt tout entier découvert et dépecé, et où nos Stanley et nos Crampel, avec leurs laptots sénégalais ou leurs porteurs zanzibariens, ne sont guère, à leur insu, que les pionniers de Rome et du Christ ; car, si l’esclavage, — encore une question sociale, et la plus vieille de toutes, — si l’antique esclavage, avec la traite hideuse, doit jamais être aboli, et si le nègre peut être émancipé et civilisé, ce ne sera ni par les lois des parlemens, ni par les congrès de diplomates, mais par la Croix. — C’est enfin la vieille Asie elle-même, l’extrême Orient décrépit aux multitudes vieillottes, qui, avec la Chine et la dynastie tartare, menace de s’écrouler sur nous ; car, lui aussi, l’homme jaune, s’il doit jamais être rajeuni, et s’il peut être un jour annexé à notre civilisation, ce ne peut guère être autrement que par le baptême et par l’Évangile. — Quels larges horizons ! et que de champs de moisson, pour qui contemple le globe, du haut de la lanterne de la coupole vaticane, comme un domaine promis à l’apôtre !

Mais laissons ces vastes perspectives, aujourd’hui encore lointaines, et qui bientôt, en moins d’un siècle peut-être, sembleront