Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prochaines à nos fils. Ramenons nos regards sur notre Occident et notre minuscule Europe. La situation de l’Église et des prêtres n’y est pas toujours la même que chez nous. Nos préjugés français contre les curés n’ont guère encore passé les Alpes et les Vosges. A nos portes mêmes, dans notre ancienne et chère Alsace, à côté de nous, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en Autriche-Hongrie, le clergé est souvent demeuré près du peuple. Entre le prêtre et le laïque il n’y a pas encore le même divorce social qu’en Champagne et en Bourgogne. L’ouvrier de Westphalie, de Silésie ou de Bohême, le Bauer de Salzbourg, le paysan de Navarre, le contadino de Toscane, ne se scandalisent point d’entendre l’homme d’église leur parler de leurs affaires ; ils ne demandent pas encore au prêtre de se contenter de marmotter ses oremus. En plus d’un pays de l’Europe, au village, dans le bourg, dans les petites villes mêmes, le prêtre est resté un homme comme un autre, ou mieux, plus respecté et plus écouté que les autres. Les mœurs lui permettent de s’intéresser à tous et de parler de tout. Regardez-le parcourant les campagnes de certaines régions de l’Allemagne ou de la Hongrie, avec son costume presque laïque, ses hautes bottes et son air dégagé : rien qu’à sa démarche on sent que le prêtre est resté en communion d’idées et de sentimens avec ses voisins du peuple. — Et, chez nous-mêmes, si difficile que soit l’action du moine ou du curé, l’action même des patrons ou des ouvriers chrétiens, n’allons pas les décourager. Au lieu d’en sourire, admirons plutôt leur courage et imitons-le. Dans la détresse commune, nous n’avons pas trop de toutes les bonnes volontés et de toutes les initiatives. Laissons les hommes de cœur et les hommes de loi s’appliquer au devoir social ; il est non moins urgent que le devoir politique, et il est parfois plus clair. Souhaitons seulement que dans ces pacifiques milices catholiques, les soldats de toute robe et de toute langue imitent la prudence de leur chef ; — et si certains dépassent la consigne et prétendent nous entraîner aux aventures, eh bien ! ne nous croyons pas obligés de les suivre et ne craignons point de leur crier : halte-là !

Ce que nous ne nous sentons pas de force à faire, pourquoi irions-nous empêcher les autres de le tenter ? Est-ce avec nos livres et nos revues, avec nos chaires de professeurs et nos académies que nous comptons barrer longtemps la route au socialisme révolutionnaire ? Mince rempart que tout cela devant les passions des foules déchaînées ! Nous avons, pour nous, la Science et la Raison, deux hautes puissances, sans doute, mais deux puissances qui ont trop peu de corps, — ou trop peu d’âme, — pour avoir beaucoup de prise sur les masses. Nous tenons pour certain, à bon droit, que contre ces deux filles de l’esprit, contre la Science et la Raison, ni