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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/141

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Pour sentir ce qu’il lui reste de force, il faut, faire un retour sur notre faiblesse. Que sont, en face d’elle, toutes les sociétés de secours moral que nous pouvons imaginer ? et combien notre zèle intermittent, à nous, hommes de peu de foi, plus ou moins enlisés dans les glaises du scepticisme, aura peine à jamais égaler la passion de charité de ses frères et de ses sœurs ! La remarque d’Isaac Pereire n’a pas perdu de sa vérité[1]. Où est, sur le globe, la puissance assez fortement constituée pour exercer une action sociale à mettre en parallèle avec celle de l’Église ? Aujourd’hui, comme hier, n’est-elle pas la seule qui, à l’organisation internationale du socialisme, puisse opposer une organisation aussi vaste ? Et ce n’est là que sa moindre supériorité. Qui possède, au même degré, le zèle de l’apôtre et sait goûter, comme ses fils et ses filles, « les béatitudes du renoncement ? » Qui surtout a, comme elle, la foi qui fait braver, non-seulement le froid et le chaud, la fatigue et la soif, mais ce qui arrête souvent les plus braves d’entre nous, le ridicule ? Pour cette œuvre à laquelle on nous convie, pour ce « devoir présent » qui attire de loin l’élite de la jeunesse, beaucoup d’entre ces jeunes se sentiraient assez de cœur, mais non assez de foi. — Et la foi n’est pas seulement nécessaire comme mobile d’action ; elle l’est presque autant, et davantage peut-être, comme moyen d’action : la foi est le levier qui soulève le poids que nos bras ne peuvent remuer. Pour renouveler le monde, il n’a pas fallu cinquante apôtres, douze ont suffi ; mais ils avaient une foi : c’est bien d’aller au peuple, mais encore faut-il avoir dans la main quelque chose à lui porter ; et si nos mains ne sont vides, ce qu’elles contiennent pour lui est bien maigre et peu substantiel. Le chrétien a un livre à porter au peuple, l’Evangile. L’Église peut lui offrir quelque chose qu’on ne tient point dans nos académies ou dans nos bureaux de rédaction : une foi et une espérance.

Et cette foi, l’Église y croit ; cette espérance, elle y a confiance, et rien ne saurait la décourager. Elle a foi au triomphe final de la croix, et, par la croix, à la victoire de Dieu sur terre. Autrefois, quand le malheur des temps ne nous avait pas donné un démenti, nous aimions à dire : impossible n’est pas français ; le catholique continue à répéter : impossible n’est pas chrétien. Ne raillons pas le croyant, le prêtre ou le moine qui, le crucifix à la main ou le rosaire à la ceinture, ne craint pas de s’aventurer dans la salle enfumée des meetings populaires et ose disputer la tribune des réunions publiques aux apôtres de la révolution sociale et aux prophètes de la grossière Jérusalem que le socialisme se fait fort de

  1. Isaac Pereire, la Question religieuse.