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l’esprit d’union et de concorde ; pour lui enseigner un idéal et lui rendre le goût de Dieu et du divin ; pour lui révéler le sens de la vie, comme dit Tolstoï, et réveiller, chez lui, avec le sentiment du bien moral, la notion chrétienne du péché ? Belle œuvre, en vérité, et noble apostolat bien digne de séduire des âmes de vingt ans ! Y rêver est déjà un signe d’élection. Aussi Dieu me garde de décourager ceux de nos amis, les Pierre l’Hermite de journal, les saint Bernard de lettres, qui prêchent vaillamment cette croisade fin de siècle ! Je ne saurais, pour ma part, sourire des efforts de ces affamés de vérité et de justice, qui veulent chercher un principe de vie, avec une raison de vivre, dans l’action sociale. Bien au contraire, je les admire et je les envie. Si j’étais né un quart de siècle plus tard, il me semble que je serais des leurs, que j’irais, moi aussi, grossir le nombre de ces échappés du scepticisme qui s’ingénient, à la Pascal, à trouver la foi dans les œuvres. Qui de nous ne souhaite ardemment que leur rêve d’action puisse être autre chose qu’un rêve d’énergie, qu’un beau feu de jeunesse, ou un songe de poète, jaloux de se donner l’illusion de L’action, la plume à la main ! — Et quand elle ne servirait qu’à réchauffer quelques âmes de ce temps, pareille prédication ne serait ni peine perdue, ni parole inutile. De ces paroles qui nous remuent et qui nous font lever, alors même qu’elles ne nous décideraient pas à marcher, il nous en faut souvent, ne fût-ce que pour nous préserver de la pire des paralysies, de l’engourdissement moral. Aussi, encore une fois, loin de moi la pensée de retenir ces modernes apôtres ou de refroidir leur ferveur ! Mais quand ils auraient là vraiment, comme nous le voudrions, un principe d’action, qui ne voit quelle est la disproportion entre leur but et leurs moyens ? L’œuvre est immense, et les moyens combien limités ! et s’il nous est facile de nous faire du bien, à nous-mêmes, en allant au peuple, combien moins aisé de faire du bien au peuple ! Comment, et avec quoi, pénétrer l’épaisseur de ces masses profondes ? Jamais il n’a été plus vrai de dire : la moisson est abondante et les ouvriers sont rares. C’est ici surtout que notre indifférence ou notre incrédulité est obligée de confesser la supériorité des religions, des cultes positifs, des églises ; et c’est une des raisons pour lesquelles je ne me lasserai point de défendre leur liberté. Quelles forces comparées à nous ! comme elles se montrent plus puissantes et par leur principe d’action et par leurs moyens d’action ! et combien nous tous, qui nous croyons plus ou moins dignes de figurer parmi les « compagnons de la vie nouvelle, » il nous sera toujours malaisé de rivaliser avec elles !

Et cela, malgré tout, est particulièrement vrai de la vieille Église.