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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

temple, et jouir de la société de deux millions de Palikares, qui vivent de cet immortel débris ! Comme la plupart des grands orateurs, il exagérait la vérité afin de la rendre plus frappante. Les douaniers sont les concierges d’une nation : il ne faut pas juger le royaume de Grèce d’après la loge.

Lorsqu’on a des bagages, on ne peut songer à prendre le petit chemin de fer qui fait le trajet d’Athènes au Pirée. Le mieux est d’accepter les services des cochers errans qui vous proposent de vous traîner, vous et votre fortune, dans de grands landaus, exilés on ne sait par quel destin, dans les Échelles du Levant, après avoir suivi, sans doute, en Occident, des noces déjà anciennes. Les vieilles voitures aiment le chemin d’Athènes et les sentiers du bois sacré des Muses : le carrosse doré qui devait servir à la rentrée solennelle du comte de Chambord et qui attendit, longtemps, chez Binder, le retour des émigrés, se repose maintenant dans les remises du roi George. Je l’ai vu passer, rue d’Hermès, lorsqu’on célébra en grande pompe, à l’église métropolitaine, la majorité du prince héritier Constantin. Les patriotes hellènes ne désespèrent pas de le voir un jour grimper les rues montantes et difficiles qui mènent à Sainte-Sophie.

Les landaus athéniens s’appellent, dans la délicieuse langue du pays, amaxa. C’est par ce mot, vous vous le rappelez, qu’Homère désigne le char d’Achille. Avant de monter sur le marchepied de ces chars, il faut faire avec le cocher ce qu’on appelle, là-bas, une symphonie. Que ce mot n’éveille point en vous l’idée de quelque chose de musical. La symphonie grecque est un accord purement commercial, analogue à la combinazione des Italiens. Chez ce peuple, amoureux de liberté, il n’y a point de tarifs, et votre cocher vous rirait au nez, si vous lui demandiez son numéro. Il faut s’entendre avec lui, discuter, d’égal à égal, engager un duel, comme deux adversaires qui s’estiment, mais ont une forte envie de se « rouler » mutuellement. Pour ma part, je ne me suis jamais plaint de l’obligation où j’étais de me soumettre à cet usage de la symphonie, qui est, chez les Grecs, une institution nationale. Parfois, ces discussions prenaient dans l’air bleu une tournure académique et platonicienne ; j’admirais combien les cochers ont d’esprit dans ce pays d’ingénieuse et subtile flânerie, et j’éprouvais une sensation que je n’ai retrouvée nulle part : le plaisir d’être voiture, au trot de deux chevaux maigres, par Protagoras ou par Gorgias.

En Orient, on accomplit les opérations vulgaires et basses de la vie matérielle avec une lenteur où se marque, à l’égard des nécessités pratiques auxquelles les hommes sont condamnés, un superbe et aristocratique dédain. À Athènes, en particulier, les orateurs ne sont jamais pressés d’en finir, et les cochers prennent