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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/195

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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

est, cette ville est charmante, de jour en jour plus douce et plus chère, comme ces femmes que l’on est tenté d’abord de ne point voir, et que l’on aime davantage à mesure qu’on les connaît mieux. Pour ma part, je l’ai aimée de toute mon âme. Trois années d’intimité n’ont pas éteint son charme ni découragé ma fidélité. Beulé pleurait lorsqu’il la quitta ; soyez assuré que, depuis ce temps, beaucoup de ses cadets ont fait comme lui.

Je l’ai vue de toutes les façons, à l’ombre et au soleil, en plein jour et au clair de lune, les dimanches et les jours de fête, calme ou légèrement frondeuse, en temps ordinaire et pendant les fièvres des élections : je l’ai toujours trouvée avenante et aimable, sauf sous la pluie, qui habille de grisailles humides les maisons attristées et fait couler des ruisseaux de boue dans le lit étroit de l’Ilissus.

Au printemps, c’est-à-dire dès le milieu du mois de février, si le terrible Vorias (vent du nord) n’apporte pas du fond des Balkans des bouffées froides, il est doux de se promener, le matin, par les rues, sans penser à rien. Dans ce pays, qui est la terre promise des flâneurs, on peut se livrer à une oisiveté obstinée, sans risquer de trouver, dans l’inaction, un seul moment de langueur ou d’ennui. On se sent alerte et bien portant, peu disposé au travail, mais enclin à une activité éveillée et amusée. Il vous vient à l’esprit des idées drôles, vives, spirituelles, mais on se couperait la main plutôt que de les écrire. Le labeur serait une injure au ciel, à l’air rafraîchissant et parfumé, à la gaîté et à l’insouciance éparses dans les choses.

L’ouverture du printemps et les premières journées de soleil apaisent notablement la fureur politique, détendent les esprits, disposent à une souriante philosophie les plus fougueux énergumènes du gouvernement et de l’opposition. Tandis que Paris est encore noyé de pluies et de brumes, et que l’Angleterre est une petite Sibérie, l’Attique se revêt de verdures printanières. L’horizon de collines et de montagnes flotte dans une lumière diffuse qui accuse les creux et fait saillir les reliefs. La plaine d’Athènes est privilégiée. Son printemps avance sur celui des autres provinces. Pendant que le Cyllène est encore encapuchonné de nuages, chaque soir, le soleil met une traînée d’or sur les pentes du Parnès, encore poudrées, par places, d’une mince couche de neige. Ce n’est plus l’hiver, ce n’est pas encore le printemps ; c’est une saison ambiguë et très douce, une charmante hésitation du soleil qui s’essaie, l’éveil encore indécis des floraisons nouvelles. On se sent invité, malgré soi, à la promenade et à la flânerie : les plus récalcitrans ne résistent pas à ces avances ; l’idée seule de travailler devant une table, ou de haranguer des hommes assemblés, devient