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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/200

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REVUE DES DEUX MONDES.

goût pour l’arome troublant des plantes méchantes que gonfle la sève trop forte des flores torrides. Ils préfèrent la saine odeur de l’ail, et, les jours de fête, ils répandent volontiers, sur leurs cheveux, les pommades et les cosmétiques imaginés par l’esprit inventif des Occidentaux.

Les broderies et les soutaches du costume national deviennent de plus en plus rares chez les tailleurs de l’agora. Il faut aller au bazar d’Argos ou de Tripolitza, si l’on veut acheter à bon compte le coquet et joli costume que les montagnards d’Albanie ont légué aux Grecs modernes : la calotte rouge, savamment repliée, du côté droit, par un gros gland de laine bleue qui bat sur l’oreille ; l’étroit gilet qui emprisonne, comme un corselet de guêpe, le buste mince des Klephtes ; la veste très courte, dont les manches flottantes sont galonnées d’entrelacs savans ; enfin la fameuse fustanelle blanche, dont les plis tuyautés font plusieurs fois le tour de la taille et se superposent les uns aux autres, de façon à former une espèce de jupe bouffante et feuilletée. La mode, qui respecte à peu près les formes immuables du gilet et de la veste, modifie très souvent la coupe de la fustanelle. Au temps du roi Othon, on la portait longue et lourde. Aujourd’hui, elle est courte et légère ; et, parfois les Hellènes, aux jambes nerveuses et agiles, ont l’air d’être échappés d’un corps de ballet.

Pour être tout à fait remarqué des belles filles de Mégare, il ne suffit pas d’avoir une belle fustanelle : il faut avoir aussi de beaux tsarouks. Les tsarouks sont des souliers rouges, découverts, sans talons, et terminés, comme les souliers des Chinois, par un bec recourbé ; mais, sur ce bec, la fantaisie des Palikares pique une houppette de laine bleue ou rouge, qui tremble à chaque pas. Les tsarouks sont en cuir souple : cette chaussure est excellente pour la marche en montagne : elle s’accroche aux cailloux, se moule sur l’aspérité des roches, se colle à l’herbe rase, et ne fait pas de bruit. Les brigands, les réfractaires et les contrebandiers le savent bien. Mettez donc, à la poursuite de pareils mocassins, les bottes de la gendarmerie !

Il y a beaucoup de tsarouks au bazar d’Athènes. Les touristes en achètent souvent, parce que ces souliers, si commodes pour les aventuriers, sont aussi, pour les gens sédentaires, des pantoufles "inusables et, par-dessus le marché, très exotiques. La rue des cordonniers est une des plus fréquentées de l’agora, et la seule qui soit un peu bariolée. Les tsarouks sont accrochés, en lourdes grappes, aux montans de bois qui soutiennent le toit des boutiques. Le mastoris (patron) tire son alêne et tape son cuir, tout en échangeant, avec son ouvrier, des vues sur la politique. D’ordinaire, il ne se borne pas à fabriquer des chaussures, et