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paraissent aux fenêtres, aux balcons, aux terrasses. Un murmure de voix monte : cris de marchands, voix aiguës d’enfans qui s’amusent, échos assourdis de conversations lointaines, rumeurs confuses. On va lentement, sous la verdure fraîche et les petites grappes rouges des poivriers du boulevard Amélie, le long du Jardin du Roi, jusqu’aux colonnes de Jupiter olympien. C’est là qu’aboutit chaque soir, en été, la procession des jolies Athéniennes, des gommeux guindés, trop haut perchés sur leurs faux-cols, des officiers séducteurs, des institutrices coquettes, des mères de famille graves, qui gouvernent de l’œil de grandes fillettes aux épaules étroites. Les voitures d’arrosage passent et repassent, soulevant derrière elles des nuages de poussière. Sur toute cette agitation du soir, où se trahit encore, dans la mollesse des allures, la lassitude des chaudes journées, le ciel étend son azur assombri. Les statues qui couronnent la maison Schliemann dessinent, dans l’air, des gestes nobles et des poses académiques. Les dorures des frises de l’Université luisent vivement, et paraissent presque jolies, sous les clartés obliques des derniers rayons. Le Parthénon, sur sa roche tailladée et fauve, dresse, dans un nimbe embrasé, le délabrement superbe de ses colonnes. La langue populaire désigne le coucher du soleil par ces mots : Βασιλεῦμα τοῦ ἡλίου (Basileuma toû hêliou). Il est impossible de traduire cette expression, qui évoque l’idée d’une pourpre royale et d’un déclin triomphant, et qui a dû éclore sous le ciel d’Orient à l’heure où le soleil descend lentement, comme un vaste incendie, derrière le rempart violet des sommets lointains.

À ce moment, une fraîcheur subite tombe du ciel, éveillant des frissons dans le dos des Athéniens qui n’ont pas de pardessus et des Athéniennes qui ont oublié leur manteau. L’heure de l’extase pourrait être, pour les poètes imprudens, l’heure de la fièvre. Sur les boues de l’Ilissus flottent des essaims de microbes, mille fois plus redoutables que les oiseaux sinistres du lac Stymphale. Si l’on a soin d’écarter leur influence par des précautions hygiéniques, on peut choisir, sans crainte, selon ses goûts et ses moyens, entre les divers plaisirs qu’offrent, en été, les nuits attiques : une promenade sur la plage de Phalère, une excursion à Kephissia, ou, plus simplement, une glace au café d’Europe ou des bocks à la brasserie Hébé.

Phalère n’était, il y a quelques années, qu’une grève déserte. C’est maintenant une petite ville très présentable et une fort aimable station de bains, bien que les deux sexes y soient parqués sévèrement dans de maussades piscines et séparés par des barrières de planches dont la police éloigne sans pitié les nageurs et les nageuses qui voudraient les franchir. La mer est bornée, d’une part, par les falaises qui enserrent le petit