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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/212

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REVUE DES DEUX MONDES.

les orateurs forcenés des cafés d’Athènes sont plutôt des raisonneurs que des poètes lyriques. Avec une rare finesse, il pensa qu’il serait cruel d’offenser, par un faste, d’ailleurs coûteux, la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mêmes, et leur passion d’égalité. De plus, lorsqu’il aperçut, dans la foule qui l’acclamait sous les fenêtres du palais, les bergers Spartiates, qui se drapent superbement dans un mauvais manteau de feutre, il désespéra d’être plus magnifique que ces descendans d’Agésilas. C’est pourquoi, lorsqu’il rentre dans sa capitale, après les voyages annuels qu’il fait dans les cours d’Europe, il a toujours le soin de télégraphier de Corinthe à son premier ministre, pour dispenser l’artillerie nationale des cent et un coups de canon prévus par les règlemens. Seulement, lorsqu’il est nécessaire de se faire entendre, au milieu de ce concert européen qui couvre volontiers la voix des faibles, il sait trouver les paroles habiles qui désarment les mauvaises volontés ou les paroles dignes qui déconcertent l’insolence des parvenus.

En somme, par la sagesse de sa conduite, par sa modération, par une petite dose de scepticisme souriant qui le sauve de l’ironie des Grecs, gens qui détestent l’excès même en matière de philhellénisme, cet homme à la moustache blonde et aux yeux bleus a bien géré les affaires des petits bruns aux yeux éveillés, qui se sont fiés à lui. Bon an mal an, il a augmenté son domaine, et il ne désespère pas de l’arrondir encore. Il n’a rien à envier à ses voisins. Charles de Roumanie, un sage pourtant, est obligé de réprimer assez souvent des jacqueries violentes. Le Serbe se fait battre par le Bulgare, se brouille avec sa femme, et finalement lâche les rênes de l’État, pour venir coudoyer, dans les cercles du boulevard, les rois en exil qui font la fête. Le Bulgare bat le Serbe, mais se fait révoquer par la Russie comme un simple préfet. Un autre Bulgare survient, qui pérore, fusille, expulse, sans que sa souveraineté soit reconnue, ô comble d’infortune ! même par le tribunal de Gotha. Le Grand-Turc a peur de tout. Pendant ce temps, le roi des Hellènes règne paisiblement sur ses peuples, fonde une dynastie, assure l’avenir de sa race, et entoure son trône d’une robuste et jolie famille, qui s’est fait adopter, à force de bonne grâce, par les Palikares apprivoisés.

Il y a peu de reines qui soient plus aimées et plus respectées que la reine Olga. Sa bienfaisance est aussi charmante et aussi gracieuse que sa beauté. Toutes les heures qu’elle ne consacre point à ses enfans et aux devoirs de son état, elle les donne, sans compter, aux pauvres. L’Evanghelismos, le plus bel hôpital d’Athènes, est placé sous son haut patronage. Elle y allait souvent, en des temps plus heureux, avec sa fille aînée, la princesse Alexandra ;