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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/211

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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

ses autres succès, de régner sans trop de mésaventures pendant plus d’un quart de siècle. C’est un homme intelligent, de manières simples, d’accueil affable, et qui a trouvé le moyen d’être encore plus constitutionnel que les démocrates égalitaires dont il régit pacifiquement les destinées. Ce serait peut-être trop s’avancer que de dire qu’il plaît tout à fait à ses sujets, lesquels sont plus difficiles à satisfaire que la plus capricieuse des jolies femmes. Mais il a su ne pas trop leur déplaire, et c’est déjà beaucoup.

Au reste, les Grecs auraient mauvaise grâce à se plaindre. Ce roi, qui n’a jamais déclaré la guerre, a pris et gardé plus de territoires que beaucoup de conquérans fameux. Il est venu en Grèce sous d’heureux auspices : en débarquant sur le quai du Pirée, il apportait dans ses malles l’acte par lequel la Grande-Bretagne se désistait de tous droits sur les Sept-Iles : c’était un cadeau princier. Lors de son avènement au trône, l’étendue de la Grèce ne dépassait pas 47,500 kilomètres carrés. Par l’annexion des îles Ioniennes, de la Thessalie et du district d’Arta en Épire, elle est maintenant de 63,606 kilomètres. La Grèce n’occupe plus le dernier rang parmi les États de l’Europe. Elle est plus grande que la Belgique et la Hollande réunies. Dans tout autre pays, un monarque auteur de pareils bienfaits serait très populaire. En Grèce, cela suffit pour être respecté et même approuvé. Quand le roi George passe dans la rue, on le salue généralement.

Il a pris pour devise, lorsqu’il entra dans Athènes, avec la députation de notables qui était allée le chercher à Copenhague, cette belle maxime : « Ma force est dans l’amour de mon peuple. » Ce peuple, qui, sous le règne d’Othon, avait changé si souvent de ministères et lait tant de révolutions, s’est contenté, sous le roi George, de quelques émeutes qui n’ont cassé que des vitres. « Je veux, disait le jeune prince, dans son premier message aux assemblées du pays, faire de la Grèce le modèle des royaumes en Orient. » Il a tenu parole. La sécurité, dans ses États, est absolue. Les Grecs n’exercent plus le brigandage que dans les pays étrangers, et les ministres divers qui ont successivement assisté le roi George dans les conseils du gouvernement n’ont jamais eu la maladresse de se mettre sur les bras un Pacifico ou un Chadourne.

George Ier a bien compris l’âme de ses sujets. Il sait que les Grecs, malgré leurs gestes et leur rhétorique, ne s’enthousiasment pas facilement, que cette race démonstrative et loquace a un grand fond de raison calme et placide ; que, malgré les apparences, son équilibre intellectuel est rarement dérangé par l’extase ; que son flegme bruyant est exempt de trouble, et qu’enfin