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major de la cavalerie de la garde, lequel avec ses larges épaules, son embonpoint naissant et son air de bonhomie goguenarde, ressemble, paraît-il, à un gentilhomme campagnard dans l’aisance. « Jadis c’était la coutume en Prusse, lit-on dans un livre récemment paru, que le ministre des cultes imitât les ecclésiastiques dans tout son extérieur. La coiffure, la barbe et la cravate de MM. de Mühler, de Bethman-Hollweg, de Raumer, de Ladenberg, avaient quelque chose d’éminemment pastoral. A la vérité, quand le docteur Falk parut à la cour dans son uniforme, les huissiers se demandèrent si jusqu’alors il y avait jamais eu en Prusse un ministre des cultes laissant pousser sa moustache. Mais assurément, c’est la première fois qu’on ait vu dans l’hôtel du n° 4 des Linden un ex-officier de la garde, et qu’on ait trouvé dans le salon où il donne ses audiences une cravache et un fusil de chasse[1]. » Les ennemis du comte Zedlitz prétendent qu’il n’avait pas d’autre titre aux fonctions de ministre des cultes que d’avoir passé un examen d’enseigne et de porter le même nom que le protecteur de Kant ; mais ils conviennent qu’il aurait fait un excellent ministre de l’intérieur. Voilà justement le point. Peut-être aurait-il eu des vues personnelles en matière d’administration, il n’en a point en tout ce qui concerne les écoles et les églises, et c’est bien là ce que désirait l’empereur : il veut que tout se fasse par sa suggestion, il veut être le grand fournisseur d’idées.

Si M. de Bismarck est sévère pour le dilettantisme, il l’est davantage encore pour les ministres courtisans, à la volonté souple, à l’échine flexible, dont la sagesse consiste à trouver que M. le prieur a toujours raison. Mais parmi tous les membres du cabinet prussien, celui qu’il maltraite le plus et contre lequel il nourrit d’implacables rancunes est M. de Boetticher, qu’il accuse d’avoir trempé dans les intrigues qui ont préparé sa chute. « L’empereur Guillaume II, dit l’auteur anonyme d’une brochure que j’ai déjà citée, prend volontiers à son service les gens qui, étant chargés de famille ou accablés de dettes, voient en lui leur sauveur et se cramponnent à leur emploi, quelques dégoûts qu’on leur donne. M. de Boetticher possède une précieuse qualité, il a le caractère visqueux. Ancienne ère ou ère nouvelle, peu importe, il se tient collé à sa place. Sans fortune propre, réduit pour toute ressource à son traitement, plongé dans des embarras qui n’étaient pas tous des questions d’argent et dans lesquels il fût resté embourbé sans la secourable munificence du prince de Bismarck, il a sur les bras une troupe de neuf enfans et une assez jolie femme, dont les prétentions dépassent la mesure commune et qui sans cesse stimule, aiguillonne son ambition. Dans quelques années d’ici, on saura mieux quelle part elle a eue au

  1. Kaiser Wilhelm II und seine Leute, 3e édition. Berlin, 1892.