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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/219

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renversement de M. de Bismarck et l’influence qu’a pu avoir sur l’histoire de l’Allemagne la fureur qui la possédait de marcher de pair avec les femmes de feld-maréchaux. » La conclusion de ce réquisitoire est que si M. de Bismarck ne ressemble nullement à Wallenstein, M. de Boetticher ressemble de tout point au perfide Octavio Piccolomini, « qui ne lança pas le trait, mais en aiguisa la pointe. » Cette citation suffit pour démontrer que ce qu’on peut appeler le parti des regrets ne respecte rien et que dans ses guerres de plume, il n’épargne ni les jolies femmes, ni les enfans.

A l’égard de l’homme le plus distingué, le plus influent du nouveau régime, M. le docteur Miquel, aujourd’hui ministre des finances, ne pouvant nier ses grands talens, c’est à son caractère qu’on s’attaque. Un journaliste de Berlin a dit de lui qu’il avait toutes les qualités requises pour gagner la confiance de l’empereur, qu’il est plus adroit, plus avisé qu’aucun des chefs du parti national-libéral, que toujours maître de lui, il n’a jamais ni emportemens ni aigreurs, que plus souple que personne, il se dérobe comme une anguille aux mains qui se flattent de le tenir, qu’au surplus il manie la parole comme le plus habile tireur peut manier le fleuret, que, s’il lui manque ce quelque chose de divin ou de démoniaque qui fait les grands hommes d’État, il est le plus considérable des politiques de second rang et le plus propre à s’insinuer dans la faveur, parce qu’il devine et prévient les désirs du maître.

Les pamphlétaires ne s’en tiennent pas là ; ils traitent M. Miquel de jésuite de robe courte, au langage doré, passé maître en rhétorique, qui, s’étant acquis de l’autorité par son expérience et son entente des affaires, a l’habileté de jamais s’en prévaloir et exerce par sa modestie d’emprunt une influence extraordinaire sur son jeune souverain. Jadis M. Miquel figurait parmi les admirateurs les plus chauds, les partisans les plus résolus de M. de Bismarck. En 1888, dans un discours qu’il prononça à Nassau, il avait censuré, flétri, stigmatisé les adversaires du chancelier, tous ceux qui nourrissaient un secret désir de le renverser. Il s’était écrié : « Malheur aux ingrats ! Malheur aux peuples capables de méconnaître ou d’oublier de glorieux services, qui n’ont pas d’exemple dans l’histoire ! » Aujourd’hui M. de Bismarck est à Friedrichsruhe, où il évapore son ennui par de longs bâillemens de lion désœuvré, qui regarde pousser ses ongles. M. Miquel a tiré adroitement son épingle du jeu, il a prospéré, il est devenu l’homme du jour. Ce sont là des aventures assez communes, et les sages en prennent leur parti ; mais M. de Bismarck a tenu à prouver que les grands politiques précipités du pouvoir sont quelquefois moins philosophes que tel petit bourgeois, qui a perdu sa fortune.

Les publicistes bismarckiens se défendent de servir des rancunes