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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/223

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situation sont résolues quand son jeune maître se montre, qu’il lui suffit de se laisser voir pour se gagner le cœur des princes, des ministres et des peuples. Si le nouveau chancelier n’avait pas cette conviction, il aurait dû l’empêcher à tout prix de courir le monde. Le second voyage qu’a fait Guillaume II en Angleterre et les conséquences que cette équipée a eues à Cronstadt démontrent assez que les intentions généreuses ne sont rien, que la clarté dans les idées, la défiance et une certaine dose de pessimisme sont les premières qualités d’un homme d’État. La politique n’est pas autre chose qu’une connaissance approfondie des hommes. » Hélas ! les connaît-on jamais ? Si versé qu’il fût dans cette science, M. de Bismarck se reproche de ne s’être pas assez défié de M. de Boetticher, et de n’avoir pas compris que M. Windthorst lui tendait un piège en lui demandant cette fameuse audience qui fut une des causes de sa chute. Mais s’il a pu se tromper quelquefois, il y a des erreurs qu’il est incapable de commettre, et il avait prévu depuis longtemps que le jour où un empereur d’Allemagne se permettrait de donner des inquiétudes à la Russie, surmontant toutes ses préventions, elle lierait société avec la France.

C’est dans les affaires intérieures que Guillaume II s’est le plus éloigné des doctrines et des pratiques de celui qui fut quelque temps son mentor et son oracle. M. de Bismarck est un partisan presque fanatique du protectionnisme ; Guillaume II a conclu des traités de commerce. M. de Bismarck cherchait son point d’appui dans la coalition des conservateurs et des nationaux-libéraux ; c’est avec d’autres cartes que Guillaume II entend gagner la partie, et il a écarté ses as. M. de Bismarck pensait que pour mater les Alsaciens, il fallait appliquer la loi sur les passeports dans toute sa rigueur ; Guillaume II l’a supprimée. M. de Bismarck considère les Polonais du grand-duché de Posen comme des ennemis de l’État, qu’il faut réduire par les vexations et avec lesquels aucune entente n’est possible ; Guillaume II s’efforce et se flatte de s’entendre avec eux. — « Il fait faute sur faute, s’écrie le parti des regrets, et il nous mène aux abîmes ! » — Mais Guillaume II ne s’en émeut guère. Il disait l’autre jour à ses fidèles Brandebourgeois : « On a pris l’habitude de critiquer, de censurer tout ce que fait le gouvernement ; sous les prétextes les plus frivoles, on trouble la tranquillité des gens, on gâte leur joie de vivre et on compromet la prospérité de la grande patrie allemande. On dirait vraiment que notre pays est le plus malheureux du monde et le plus mal gouverné, que c’est un supplice que de vivre en Allemagne. Puissent tous les mécontens qui nous dénigrent secouer de leurs souliers la poussière allemande et échapper ainsi à notre misérable condition ! Ils travailleraient ainsi à leur bonheur et nous procureraient du même coup un grand contentement. »