Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand il fallut s’expliquer, un ton de dignité blessée et un accent d’amertume qui firent voir que le trait avait porté au cœur. Parme et Plaisance, même accrus du petit duché de Guastalla, paraissaient un mince échange à offrir en retour de la restitution réclamée de la Savoie et du comté de Nice. Puis le rétablissement des exigences vexatoires imposées par l’Angleterre au commerce espagnol était un affront pour l’indépendance de la nation et pour l’honneur de la couronne que la fierté castillane ne pouvait manquer de ressentir cruellement. Enfin c’était toujours, disait-on, le même procédé : disposer de l’Espagne et de ses plus chers intérêts sans prendre même la peine de la prévenir. Interprète de ces sentimens, mais moins mesuré dans son langage que ses maîtres, le duc d’Huescar fit à Puisieulx des scènes si vives que ce ministre, dont le sang-froid n’était pas la qualité principale, en éprouva un trouble même physique dont Saint-Séverin s’aperçut dans sa correspondance. « Du courage donc et de la santé, mon cher marquis, lui écrivait-il, l’Espagne fait beaucoup de bruit, mais finira par se rendre. » — Et il avait quelque mérite lui-même à ne pas s’émouvoir davantage, car il n’était pas mieux traité à Aix-la-Chapelle par le duc de Sotomayor, qui ne lui adressait pas la parole et lui tournait le dos quand il le rencontrait. En revanche, entre l’Autriche et l’Espagne, l’intimité paraissait rétablie et complète. Kaunitz et Sotomayor passaient leurs journées à faire de la musique ensemble et à épancher dans le sein l’un de l’autre leurs griefs contre leurs alliés. A les voir ainsi inséparables on aurait pu croire qu’ils méditaient quelque opération commune[1].

Mais de quel secours pouvait être l’Autriche à l’Espagne, et l’Espagne qu’aurait-elle pu lui rendre en échange, une fois qu’elle était abandonnée de la France et ne pouvait se rapprocher de l’Angleterre ? Quelle mesure efficace pouvait sortir du concert de ces deux co-héritiers de la succession de Charles-Quint, du moment où ils ne pouvaient plus se donner la main ni par mer, dont les croisières anglaises leur rendaient la communication impossible, ni par terre à travers le Piémont et la Provence qui leur étaient désormais fermés ? L’Autriche avait-elle des vaisseaux à envoyer dans l’Océan pour empêcher les escadres britanniques d’achever la ruine, déjà presque consommée, du commerce espagnol, et barrer le chemin aux galions du Nouveau-Monde ? Puis les troupes espagnoles ne pouvaient se maintenir en Savoie et à Nice qu’avec le concours des Français, et en s’adossant en quelque sorte à la frontière de France ;

  1. Vauréal à Puisieulx, 15-17-21 mai 1748. (Correspondance d’Espagne.) — Saint-Séverin à Puisieulx, 7-14 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)