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précaution : — « Ne soyez point inquiet, lui répétait-il, de ce que j’ai fait dire par Kauderbach ; nous ne sommes engagés et compromis en rien. Je suis de votre avis qu’il faut, de préférence à tout, suivre le plan que nous avons formé, mais je ne crois pas qu’il y ait inconvénient à jeter des propos qu’on peut suivre ou abandonner suivant que le cas l’exige[1]. » Et il ajoutait, en même temps, que Sandwich était de retour, apportant sur le point débattu entre eux une concession à peu près complète du cabinet anglais. Dès lors, la prévision d’une rupture n’étant pas réalisée, la démarche qu’il avait faite pour s’y préparer tombait d’elle-même.

L’effet n’en était pas moins obtenu. Kaunitz, sans ajouter beaucoup de foi à une ouverture trop séduisante pour être bien sérieuse, n’en était pas moins obligé d’attendre ce qu’on en penserait à Vienne. L’idée d’un rapprochement avec l’Angleterre (si jamais il l’avait conçue) était par là même éloignée ; et quant à l’impératrice, prompte à se rattacher à tout ce qui lui laissait l’espérance de satisfaire ses ressentimens, elle était confirmée dans la pensée qu’elle avait tout profit à gagner du temps, l’union dirigée contre elle pouvant d’un jour à l’autre se dissoudre d’elle-même par le désaccord de ceux qui l’avaient formée. Kaunitz dut donc continuer par son ordre à faire naître une série de difficultés dans le dessein évident d’éluder et de retarder indéfiniment toute conclusion.

Ce fut d’abord une difficulté de forme. A quoi bon, dit-il, un traité général, signé en commun par toutes les puissances et prétendant trancher par un acte d’ensemble toutes les questions pendantes ? Pourquoi ne pas recourir plutôt à des conventions particulières entre les divers États belligérans, réglant entre eux, isolément, et chacun en tête à tête avec son rival et son adversaire de la veille, les points qui les intéressent et qui les divisent ? Le motif de cette préférence pour un mode de négociation si compliqué n’était que trop visible : c’était toujours le désir d'écarter ces engagemens collectifs que l’Autriche ne voulait pas subir. Et effectivement, on ne voit pas dans quelle convention particulière aurait pu trouver place la garantie promise aux cessions territoriales des traités de Dresde et de Worms. Il n’y avait donc aucune chance que ceux qui avaient repoussé cette pensée sous la forme des réserves mises à l’accession des préliminaires y fissent meilleur accueil, quand elle reparaissait sous une autre tout à fait équivalente. Mais Kaunitz pouvait pourtant invoquer, en faveur du procédé qu’il

  1. Saint-Séverin à Puisieulx, 26 juin, 6 juillet 1748. (Conférence de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — D’Arneth, t. III, p. 374, — Beer, p. 47.