Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

J’ignore si Valori, revenu en France, réussit à justifier Frédéric et à se disculper lui-même du reproche d’avoir mal parlé des conditions de la paix, mais ce qu’il y a de certain, c’est que Chambrier n’exagérait rien quand il disait que Louis XV et ses ministres étaient dans un état de susceptibilité et d’excitation extrêmes au sujet des reproches de complaisance excessive et presque de duperie qui commençaient à leur être communément adressés. Un mal apaisé, on le sait, est vite oublié, et la sécurité est pour les peuples, comme la santé pour les individus, un bien négatif dont la perte est très sensible, mais dont on cesse de goûter la jouissance dès qu’on s’habitue à le posséder. Ainsi on n’avait d’abord vu dans la paix que la fin des souffrances devenues insupportables ; mais, dès que le premier effet fut passé, dès que le commerce ne se plaignit plus de souffrances aiguës, dès que l’on cessa d’entendre parler de nouveaux impôts et de nouvelles recrues, on se prit à réfléchir et on dut reconnaître l’insuffisance des avantages obtenus en compensation de tant de sacrifices, et surtout en comparaison des conditions qu’on était obligé de subir. Le marquis d’Argenson qui, au premier moment, s’était vu forcé d’applaudir à la nouvelle de la paix, note avec satisfaction ce revirement de l’opinion dans son journal. Il oubliait sans doute que ces conditions, à la vérité assez peu satisfaisantes, étaient celles mêmes qu’il avait proposées, sans réussir à les faire accepter. Dès le 17 juin, il écrivait : — « A Paris et dans les provinces on est consterné. Quoi ! dit-on, nous rendons toutes nos conquêtes, tout sans exception : Louisbourg seul nous est rendu, Louisbourg, que ce mauvais ministre de la marine avait laissé prendre ; nous n’obtenons qu’un petit établissement pour don Philippe, établissement d’un bâtard de pape, à qui originairement il fut donné ; et l’Espagne, à qui nous rendons service, est mécontente des conditions. C’est un étranger, un Italien, seul ministre du roi au congrès, qui dispose ainsi de la fortune du royaume, et qui tranche comme il veut pour le plus mal ! Voilà des discours que je n’ai pu dicter, mais qui font quelque honneur à la mémoire récente de mon ministère[1]. »

Ce n’était plus là seulement le ton des conversations de la cour, mais des chansons railleuses circulant sous le manteau et des pamphlets acerbes en portaient partout les échos. Un de ces libelles, très avidement recherché, traitait nettement la paix de déshonorante, et ce qu’il y avait de plus grave, c’est que cet écrit plein

  1. Journal de d’Argenson, t. V, p. 227.