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la poésie sans y prétendre, et les mélodes furent des poètes. Car vraiment il serait injuste de leur refuser ce nom. Ils ont un rythme qui en vaut un autre ; ils expriment de grandes pensées…, ils se sont faits les interprètes de la prière publique, et c’est la mission par excellence du lyrisme ; enfin, si les livres ont gardé le silence sur leurs noms et sur leurs œuvres, ils ont obtenu une gloire plus solide, la gloire des vrais poètes : ils vivent encore, malgré les siècles, dans la mémoire et sur les lèvres des peuples. »

Nous n’avons pas à nous excuser de la longueur de ces citations. On comprendra que nous aimions à nous appuyer sur un témoignage si éclairé et si sincère. Du reste, M. Krumbacher abonde dans le même sens. Dans cette partie de son livre, qui en est une des plus intéressantes, il examine l’histoire de l’hymnographie et passe en revue les poètes qui en marquent les différentes phases. Ils sont nombreux, ces poètes. Notre auteur consacre des notices détaillées aux principaux d’entre eux. M. Papadopoulos[1] a rempli un gros livre de leurs biographies. Les meilleurs appartiennent au VIe siècle, qui est le point culminant pour toutes les branches de l’art et de la littérature chez les Byzantins.

Le plus grand d’entre ces poètes est Romanos. Il a été canonisé par l’Église grecque, en sa qualité de mélode ; mais, pour citer encore le père Bouvy, « l’Église seule a conservé le souvenir de son existence. Après avoir augmenté par ses hymnes la religion des peuples, lui-même a eu sa place sur les autels, et sa fête est célébrée le 1er octobre dans tout l’Orient. Mais les livres, les écoles, toutes les traditions littéraires sont muettes sur sa mémoire. » Nous n’avons même pas, comme le remarque M. Krumbacher, un témoignage précis qui permette de fixer l’époque où il composait ses hymnes.

Ce poète oublié reprendra la place qui lui est due dans l’histoire de l’esprit humain. M. Krumbacher nous promet une édition complète de ses œuvres. Une petite partie de ses hymnes subsiste toujours dans les livres ecclésiastiques en usage parmi les Grecs, mais la plupart ont été, dans le cours des siècles, remplacés par d’autres poèmes religieux que le goût du temps a préférés, malgré leur infériorité. L’éditeur de Romanos aura à reconstituer son œuvre en la déterrant de la poussière des bibliothèques. L’entreprise est ardue, mais elle comporte sa propre récompense, puisqu’il s’agit d’un auteur que « l’histoire littéraire de l’avenir célébrera peut-être comme le plus grand des poètes religieux de tous les

  1. Voir son ouvrage : Συμϐολαὶ εἰς τὴν ἱστορίαν τῆς παρ’ ἡμῖν ἐϰϰλησιαστιϰῆς μουσιϰῆς ; Athènes, 1891.