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temps. » (Krumbacher, p. 313.) Les quelques érudits qui ont jusqu’ici connu et cité le nom de Romanos (ils ne sont pas nombreux ; M. Krumbacher en cite jusqu’à quatre) sont d’accord pour lui attribuer, avec l’Église orthodoxe, la première place parmi les hymnographes grecs. Le père Bouvy ratifie ce jugement. « Romanos, dit-il (p. 367), est le premier des mélodes par le génie poétique. Ses œuvres représentent l’hymne liturgique dans sa perfection… Suivez-le dans toutes les phases du cycle sacré… et vous conclurez peut-être que le christianisme ne doit envier à l’antiquité aucun de ses poètes lyriques. »

Ce n’est pas peu pour une littérature que d’avoir produit un genre nouveau et, dans ce genre, au moins un poète de génie. Nous voyons par là ce dont les Grecs étaient encore capables aussitôt qu’affranchis des entraves du classicisme, ils s’ouvraient une nouvelle voie sous l’influence du sentiment essentiel de leur temps. Interprètes de ce sentiment, les hymnographes se trouvaient en communion directe avec la masse de leurs contemporains ; ils ne s’adressaient pas à une coterie de lettrés. Se servant de la langue littéraire de leur époque, mais sans pédantisme, sans craindre de se rapprocher des formes populaires, leurs chants étaient à la portée de toutes les intelligences et remuaient tous les cœurs. De là, la chaleur et l’originalité qui les distinguent et dont l’absence fait la faiblesse du reste de la littérature byzantine. Grâce à M. Krumbacher, on ne pourra plus porter un jugement sur l’ensemble de cette littérature, sans tenir compte des poètes religieux ; elle n’en sera que mieux appréciée ; ses défauts n’en seront pas effacés, mais ils seront en partie rachetés par les qualités des mélodes. Les œuvres de ces poètes ont été la plus haute et la plus belle manifestation du sentiment chrétien, qui prédomine pendant toute cette période ; elles font ressortir avec vivacité le caractère fondamental de la civilisation byzantine, et justifient la qualification de période chrétienne que nous avons donnée en commençant à cette partie si considérable, et si peu connue, de l’histoire littéraire du monde grec.


D. BIKELAS.