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sectaires de l’une et de l’autre école, ces esprits libres et francs deviennent de jour en jour plus nombreux. Ils repoussent résolument le formulaire d’apologie ou de dénigrement qu’on voudrait leur imposer. Ils affirment que la Révolution n’est pas simple, qu’il y a en elle un surprenant mélange des passions les plus basses et les plus hautes, de crime et de vertu, de démence sanguinaire et de magnanime héroïsme. Et ils concluent logiquement que tout jugement simple rendu sur elle, tout jugement qui ne reflétera pas cette intime complexité, qui laissera dans l’ombre un des élémens de ce dualisme essentiel pour mettre l’autre seul en lumière, — tout jugement de panégyriste comme tout jugement de détracteur, par conséquent, — est suspect d’insuffisance, d’erreur, et doit être rejeté. L’auteur de l’étude qu’on va lire ose se flatter d’être un de ces esprits-là. L’étude elle-même montre la Révolution dans deux de ses aspects, l’un repoussant : la tyrannie d’un club jacobin dans une grande ville de province, — l’autre véritablement sublime : l’élan patriotique, les miracles d’héroïsme accomplis en même temps que les crimes, et qui, somme toute, les rachètent.


LE CLUB JACOBIN.
I

À Toulon, comme dans le reste de la France, le facteur principal des progrès de l’esprit démagogique pendant la Révolution fut le club. Étudions ce pouvoir nouveau : pouvoir non prévu, non défini, et par cela même illimité. Aucun article de la constitution ne le consacre, aucune manifestation régulière de la volonté du peuple ne lui donne un semblant même d’existence légale. C’est une règle fondamentale du nouvel ordre de choses créé par la Révolution, que tout individu ou tout corps dépositaire d’une partie quelconque de la puissance publique soit soumis à l’épreuve préalable d’une élection : lui seul échappe à cette loi. Pouvoir issu du bon plaisir seul de ceux qui l’exercent, il devrait logiquement payer la rançon de son vice originel, manquer d’autorité, de prestige et de force, soulever des résistances : et cependant il est, de sa nature, si envahissant et si formidable, que là où il surgit, il asservit ou absorbe tout, sans que personne songe à lui reprocher l’usurpation qu’il a commise sur le droit de la nation. Une poignée d’hommes, — et quels hommes ! — se réunit, annonce à grand fracas sa résolution de veiller désormais sur la chose publique, s’ingère aussitôt avec une violence qui n’a d’égale que son incapacité dans l’administration du village, du bourg, de la cité ; enfle son outrecuidance jusqu’à vouloir connaître des affaires de l’État et