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Toulon. Il adresse aussitôt des félicitations aux sous-officiers de Lyonnais. « Frères et amis, les remercîmens de vos concitoyens vont être la récompense de votre patriotisme… La patrie depuis longtemps vous mit au nombre de ses plus vaillans défenseurs : elle vous conte aujourd’hui parmi ses meilleurs citoyens. Grenadiers, honorés-vous de ce glorieux titre. Le droit de la vertu est d’être cité pour modèle et vous venés d’acquérir à Aix le droit d’être celui de tous les soldats patriotes. » Et il se hâte d’offrir l’affiliation à la Société « pour MM. les sous-officiers et grenadiers qui ont contribué à votre généreuse résolution[1]. » Cette marque d’approbation collective donnée à des mutins ne lui suffit pas. Le principal auteur de la rébellion n’a-t-il pas conquis des titres à un hommage particulier et plus éclatant ? Le même jour, la Société écrit au lieutenant Ferréol : « Monsieur, l’expression manque à nos sentimens. Que pourrions-nous vous dire qui ne fût au-dessous de ce que vous avés fait à Aix ? Il en faut revenir à cette noble simplicité des temps héroïques. L’assemblée patriotique de Toulon a voté que votre nom serait mis au-dessus de la place de son président et surmonté d’une couronne de chêne. Nous vous demandons l’honneur de vous affilier à la Société des amis de la constitution dont nous sommes membres[2], »

Insurrection contre la société ou résistance à l’autorité des chefs militaires : la sympathie du club est acquise à toutes les révoltes. Les forçats même ont droit à ses bonnes grâces. Le bagne n’est-il pas une Bastille toujours debout et n’évoque-t-il pas le souvenir maudit de l’autre, « de cet horrible monument que des siècles barbares avaient élevé et entretenu pour servir la passion de nos anciens tirans… de ce colosse affreux qui renfermait tant d’innocentes victimes[3] ? » A quoi bon s’assembler si souvent devant le modèle de l’odieuse prison, expédié de Paris et déposé dans une des salles de la maison commune ? A quoi bon « pleurer et se lamenter à l’aspect du tableau représentant le cercueil des victimes trouvées mortes dans les cachots, » et pousser « des cris de haine et de vengeance contre les assassins de Latude, lorsqu’un habitué du lieu faisait le récit pathétique de la longue agonie de ce malheureux jeune homme[4] ? » Sans doute, le bonnet vert

  1. Archives de Toulon. — Même dossier ; lettre du 17 décembre 1790.
  2. Ibidem.
  3. Archives de Toulon. — Lettre du sieur Palloy, « patriote, entrepreneur de la démolition de la Bastille, » à M. le maire de Toulon, en date de 22 juin 1790. Il annonce renvoi d’un modèle de la Bastille. Ce modèle existe encore. On peut le voir au musée de Toulon.
  4. Lauvergne, p. 87 : — « La foule s’empressait de toucher la dalle provenant des pierres du cachot et sur laquelle était empreint le portrait du roi ; elle écoutait avidement, les yeux fixés sur un plan de la Bastille, la description qu’on lui faisait de cette affreuse prison… » — Notez à quel point ces conférences publiques sur la Bastille, entourées d’une savante mise en scène, de plans, d’images destinées à émouvoir la sensibilité des spectateurs, — ces « leçons de choses » faites en présence d’un modèle où se trouve, enchâssée comme une relique, la dalle d’un des cachots, — devaient frapper les esprits. Nous assistons ici à la genèse même d’une de ces tenaces et indestructibles légendes que la démonstration la plus claire de leur fausseté ne parvient pas à extirper de la conscience populaire.