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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/410

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développe dans le corps social… cette sorte d’excroissance dévorante dont l’envahissement est irrésistible[1], » toutes les affaires locales passent par les mains du club et n’arrivent à celles des corps chargés de l’administration de la cité, du district ou du département, que traitées à l’avance, triturées et déjà résolues par lui. Là, comme dans le reste de la France, il est « un vrai tribunal d’inquisition, » un « colosse de despotisme[2]. » Maître des élections, grâce au découragement des modérés qui s’abstiennent, à Toulon comme partout[3], et le laissent voter seul en faveur de candidats qu’il a choisis et qui, tenant leur mandat de son puissant patronage, obéissent servilement à ses injonctions, il est maître absolu de la municipalité et, par elle, de la ville. Mais les affaires de la commune, du district, du département même ne suffisent pas à assouvir ses appétits de domination, à calmer la fièvre d’activité qui le dévore. Il promène sur les départemens voisins la surveillance aiguë de son « œil » redoutable ; il porte plus loin même ses regards, jusqu’à la frontière, jusqu’à Paris ; il plane sur la France entière et, dès qu’il a découvert quelque chose de suspect, il dénonce. Écoutez sa profession de foi. Nous sommes, dit-il, « fiers de notre innocence et de notre civisme, inébranlables dans notre amour pour la constitution et dans nos efforts pour en propager les principes, infatigables dans notre surveillance pour l’observation des lois et dans notre activité pour en dénoncer les infractions[4]. » Surveillance et propagande : tout son programme tient dans ces deux mots. Et il est pénétré de l’importance de sa tâche ; elle prend tout son temps, absorbe toutes ses pensées. C’est avec une conviction profonde qu’il écrit aux Amis de la constitution d’Avignon : « Pardonnez à la brièveté de notre lettre. Le bien de la patrie en danger remplit tous nos momens[5]. »

Cette tâche, en effet, est énorme. Ces centaines, bientôt ces milliers de sociétés populaires qui, du sein de la décomposition générale, ont surgi, non-seulement se sont affiliées à la société des Amis de la constitution de Paris, sorte de « maison mère », cerveau et cœur de l’association, qui élabore la pensée directrice et qui la transmet[6], — mais elles se sont affiliées entre elles.

  1. Taine, Révolution, I. p. 272.
  2. Ces expressions se trouvent dans une pétition des officiers de la garde nationale de Besançon à l’Assemblée, citée par Taine. — (Révolution, II, 54.)
  3. Voir les chiffres instructifs donnés par Taine au sujet de ces abstentions. (Révolution, II, p. 373-374.)
  4. Archives de Toulon. — Correspondance du club ; lettre du 21 novembre 1790.
  5. Ibidem. — Lettre du 17 décembre 1790.
  6. Voici un exemple qui fera bien comprendre le mécanisme de ces affiliations. Le club de Toulon écrit, le 12 mai 1791, aux jacobins de Paris : « Frères et amis, nos frères d’Hyères nous ont fait part de la condition que vous avés mise à leur affiliation, qui est que leur demande soit appuyée par deux sociétés voisines. Nous nous empressons de vous garantir leur patriotisme et leur dévoûment à la Constitution. Nos frères d’Antibes nous ont aussi prié par leur dernière lettre d’appuyer leur demande on affiliation auprès de vous. Cette société, à qui nous n’avons accordé notre affiliation qu’après nous être complètement assurés de leur civisme, nous en a donné en diverses occasions des preuves non équivoques et surtout par la surveillance active qu’ils exercent sur des pays limitrophes. Ils ont soin de nous instruire exactement de tous les mouvemens des aristocrates réfugiés dans les États de Savoie… » — (Archives de Toulon ; correspondance du club.)