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en janvier ou février ; l’arrivée imprévue à Turin de M. de Calonne, de l’abbé son frère et d’autres ; le ton plus fier que tous reprennent : tout chés eux décèle un redoublement d’espoir fondé sur quelque grande entreprise[1]. » A côté de cet avis général, déjà passablement alarmant, le détail précis, le fait concret qui frappe l’imagination populaire : « Une première démonstration de leur association est un uniforme qui vient d’être adopté par le party. Le fond de la couleur est bleu, le bouton en cuivre, portant une fleur de lys dans le champ[2]. » Leseurre enfin conclut : « On a certainement des vues pour s’emparer de quelque port comme de Toulon ou de Marseille, peut-être des deux. Quelqu’un a entendu dire : si le port était incendié… Je vous laisse, messieurs, à tirer les inductions de ce peu de mots recueillis : mais ils m’effraient… On ne voudrait pas, sans doute, s’engager dans l’intérieur du royaume sans auparavant s’assurer d’une clef par où recevoir des secours. Le projet sur Befford (Belfort) éclaire sur le plan à supposer[3]… » Qu’on juge de l’effet que devaient produire de pareilles révélations sur des esprits inquiets, et ombrageux, déjà trop disposés à voir partout des traîtres ! Faut-il s’étonner si, instruits d’un si noir complot, ils ont suivi le conseil de Leseurre : « Le meilleur moyen, pour déconcerter, est de paraître en mesure contre tout projet hostile, de redoubler d’activité pour en découvrir les partisans secrets[4]. »

Et chaque jour arrivent de nouvelles preuves de la grande conspiration ourdie à Nice par les émigrés. Le 20 novembre 1790, le consul de France ajoute, en post-scriptum, à sa lettre du 19 : « Depuis ma lettre écrite ; on m’a assuré que l’exécution du plan se tentera beaucoup plus tôt ; je recueille mes notions de diverses parts qui n’ont rien de commun. » Le 25, il écrit : « L’explosion doit se faire au plus tard en février ; d’autres disent beaucoup plus tôt… On ne peut garantir qu’Antibes soit un des objets, mais il y a lieu de craindre, et la chose est probable parce qu’il faut un point d’appui et que c’est la ville la plus à portée… Il est aussi très vraisemblable qu’on fera en même temps des tentatives ailleurs, surtout contre les ports de France, parce qu’on a des intelligences partout. Les forces extérieures ne sont pas les seules à redouter, mais ce sont les affidés intérieurs qui sont à craindre, parce qu’étant inconnus, on ne sait à qui on doit se fier. Il est sûr à

  1. Archives de Toulon : — Lettre du consul de France à Nice, à la municipalité, du 19 novembre 1790.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Ibid.