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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/423

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lettre de la municipalité d’Antibes à celle de Toulon nous l’apprend : « Messieurs, la ville de Nice ne sera plus le repaire des aristocrates qui s’y étaient réfugiés. Sa Majesté sarde, indignée de leur conduite, les en a chassés avec défense d’approcher de six lieues de sa côte[1]. » Ainsi, l’attitude des émigrés à Nice est telle, si imprudente, si provocante, que le propre beau-père du comte d’Artois est réduit à leur défendre de rester dans le voisinage de la frontière. L’ordre, à la vérité, fut révoqué quelques jours après, mais non pas sans que la cour de Turin leur recommandât expressément de ne plus abuser désormais de l’hospitalité qu’on leur accordait. « Les Français réfugiés dans cette ville sont parvenus à faire révoquer l’ordre qui les obligeait à la quitter, mais il leur a été enjoint de se comporter avec la plus grande modération. C’est M. le comte d’Artois qui leur a obtenu cette faveur[2]. » Cet avertissement aurait dû, à ce qu’il semble, sinon couper court à leurs intrigues, du moins les induire à y mettre un peu plus de circonspection. Mais quelle prise un conseil de prudence pouvait-il avoir sur ces écervelés qui, à Nice comme à Coblentz ou à Bruxelles, plaçaient au rang de leurs plus graves préoccupations des intrigues galantes, de futiles querelles de préséance, de simples questions d’uniformes[3] ? Ils continuèrent donc : les uns, — les fortes têtes du parti, les politiques, — à prophétiser bruyamment la prochaine restauration du roi dans la plénitude de son autorité, c’est-à-dire le retour de l’ancien régime ; les autres, — les jeunes, les mousquetaires de la cause, — à menacer et à braver de loin la Révolution, qui cependant ramassait contre eux ses forces et qui, dès la première passe du duel où ces téméraires la provoquaient, allait briser comme verre leurs fragiles épées de cour. « La fermentation extrême dont je suis témoin, — écrit Leseurre le 17 novembre 1790, — non de la part du pays, mais de ceux qui s’y sont retirés ; son augmentation sensible depuis quelques semaines ; diverses assemblées entre eux où l’on m’assure qu’a été signée une confédération pour sacrifier biens et vies à une contre-révolution ; le nombre considérable de ceux ailleurs, qui, dit-on, ont donné leurs signatures ; des propos violens jusqu’aux spectacles, dans les caftes, les rues, les boutiques ; l’annonce, que même des principaux ne dissimulent pas, d’une prompte revanche dont quelques-uns fixent l’époque au plus tard

  1. Archives de Toulon. — Lettre de la municipalité d’Antibes à celle de Toulon, du 12 juillet 1790.
  2. Ibid. — Lettre de la municipalité d’Antibes, du 16 juillet 1790.
  3. Voyez Forneron, Histoire générale des émigrés, I, p. 246 et suiv.