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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/428

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III

Mais ce n’est pas la crainte et la colère seules qu’excitent, à Toulon, l’insolente attitude et les provocations des émigrés campés à Nice. Un autre sentiment plus noble trouve aussi, dans ces menaces, le plus puissant stimulant : l’amour de la patrie grandit en même temps que l’anxiété et se fortifie de tout ce qui l’augmente. On ne se contente pas de trembler pour la France et pour la liberté. A les voir en péril, on s’aperçoit qu’on tient à elles plus qu’à la vie même : en sorte que, — chose étrange, — cette crainte partout répandue, au lieu de déprimer les âmes, les élève bien au-dessus de leur niveau ordinaire, leur découvre la sublime beauté des sacrifices noblement consentis aux grandes causes, leur donne enfin cette forte trempe d’héroïsme qui a sauvé la Révolution, — et la patrie avec elle.

Ce point est mis en une vive lumière par la correspondance qu’échangent entre elles les municipalités des départemens menacés. Voici une lettre qu’écrit la petite ville de Cette à Toulon, en juillet 1790[1]. Cette vient d’avoir, par un de ses citoyens « dont le zèle pour le maintien de la Constitution est généralement connu, » la révélation « du plan des sinistres desseins des ennemis du bien public. » Une alliance a été conclue entre l’Espagne, la Sardaigne, l’Autriche et la Prusse. Un de « nos princes fugitifs » en sera le généralissime. Les alliés préparent une double attaque, sur Montdauphin et sur Perpignan. Les contre-révolutionnaires espèrent avoir pour eux Aigues-Mortes, Agde, Toulouse, Montauban, Lyon. « Leur projet est d’attaquer Nîmes et de le razer. » La municipalité de Cette a cru devoir donner à celle de Toulon « cet avis intéressant, » afin que les Toulonnais puissent se mettre en état de défense, « courir au secours de leurs frères menacés, » annoncer par des signaux l’approche des ennemis de l’État. Et les obscurs officiers municipaux qui ont écrit cette lettre trouvent, pour conclure, cette formule admirable qui en condense en trois mots tout l’esprit : « Nos bras, nos cœurs et nos vies sont à vous. » Ah ! les braves gens ! quelle mâle simplicité ! quelle sincérité d’accent ! quel profond sentiment de la solidarité nationale ! ..

Antibes manque de canons. Sentinelle avancée de la France du côté de la frontière sarde, la vaillante petite ville a, dès la fin de juillet 1790, mis en batterie sur ses remparts le peu de pièces dont elle dispose. Elle ne se fait aucune illusion sur la valeur de

  1. Archives de Toulon.