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la balance, et une fois de plus, le génie d’Athènes a séduit l’Europe.


IV

Au début, le réveil des études archéologiques ne profita guère à Athènes. On s’explique difficilement pourquoi l’ancienne capitale de l’Attique resta délaissée, alors que tant d’artistes, de philologues et d’épigraphistes exploraient Constantinople, l’Asie-Mineure, les îles. En dehors d’un croquis du Parthénon, pris au XVe siècle par le fameux antiquaire et voyageur Cyriaque d’Ancône, croquis récemment publié par M. Mommsen, en dehors de quelques autres relevés, insérés dans le recueil de l’architecte Julien de San-Gallo, c’est à peine si la renaissance italienne a accordé une attention aux monumens de la Grèce. Tout entière à l’imitation des modèles romains et à l’application des théories de Vitruve, elle témoignait d’ailleurs le même dédain aux chefs-d’œuvre de l’architecture dorique conservés dans le sud de l’Italie et en Sicile. Seul, probablement, Raphaël, en qui, on le sait aujourd’hui, l’artiste se doublait d’un archéologue, conçut le projet de faire relever par des dessinateurs spéciaux les principaux monumens antiques soit de la Turquie, soit de la Grèce ; mais sa mort prématurée arrêta brusquement le travail. La copie, dans une esquisse pour la Bataille de Constantin, de plusieurs des têtes de chevaux de la frise de Phidias, voilà ce qui reste aujourd’hui d’une tentative si généreuse et qui promettait d’être si féconde.

Le XVIe siècle en vint à ce degré d’ignorance sur la situation véritable d’Athènes qu’en 1573 un savant allemand, Martin Crusius, écrivit à Constantinople pour demander s’il était vrai que la cité, mère de toute science, était complètement anéantie, et qu’il n’en restait que quelques cabanes de pêcheurs.

On sait si, depuis, l’érudition a regagné le temps perdu ; on sait aussi quelle part glorieuse notre pays a prise à cette résurrection, par l’initiative de savans ou d’artistes tels que le marquis de Nointel, Carrey et Spon, Choiseul-Gouffier et David-Leroy, le marquis de Laborde et Paccard, dont l’œuvre a été reprise et complétée de nos jours par les membres de notre École française d’Athènes, à laquelle son nouveau directeur, M. Homolle, imprime une impulsion si vigoureuse, ainsi que par les architectes pensionnaires de l’Académie de France à Rome. On ne pouvait venger plus noblement l’Athènes du XIXe siècle, de l’indifférence que les ducs français des maisons de La Roche et de Brienne avaient témoignée, pendant une domination de plus de cent ans, à l’Athènes du moyen âge.


EUGENE MÜNTZ.