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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/452

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Daubenton n’avait rien à répondre à la lettre de Soulavie ; mais il recevait en même temps une autre missive, celle-là officielle, et signée du ministre de l’intérieur qui lui disait : «… Je t’invite, citoyen, à prendre avec les professeurs du Muséum une délibération sur l’admission d’Olivier Marat… En attachant ce naturaliste à ton établissement, ce sera, à la fois, récompenser les talens, servir les sciences et acquitter dans le parent du défenseur des droits du peuple une partie de ce que la république devra toujours à sa mémoire. Je t’engage à destiner, en même temps, un logement à Olivier Marat dans les bâtimens du Muséum et à en mettre sa femme immédiatement en possession ; elle le disposera en attendant l’arrivée de son mari[1]. »

Daubenton réunit l’assemblée des professeurs pour examiner les pièces envoyées à Genève pour prouver les talens de naturaliste d’Olivier Marat et pour décider de son admission comme employé logé au Muséum. On voit d’ici le vénérable Daubenton, âgé de près de quatre-vingts ans, dont la figure si souvent reproduite, le montre entièrement voûté avec le visage imberbe, la bouche souriante et la physionomie béate d’un bon vieillard, le dessus du crâne entièrement chauve et de longues mèches de cheveux blancs pendant sur le dos et les épaules et encadrant ses traits ; autour de lui, Antoine-Laurent de Jussieu, Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire, tous l’honneur et la gloire de la science française, examinant les chenilles soufflées et les araignées piquées par Olivier Marat, et déclarant que les insectes qui leur sont présentés sont dans l’état le plus avantageux ; qu’ils remarquent surtout des chenilles soufflées et une araignée très bien conservée, « objets rares dans les collections d’histoire naturelle, disent-ils, à cause des difficultés qu’on rencontre en les préparant, » et ils constatent u qu’une collection soignée et disposée de la sorte serait du plus grand intérêt pour l’étude de l’histoire naturelle[2]. »

Ce premier examen terminé, Daubenton, d’accord avec ses collègues, rédigea une lettre conçue avec tant d’habileté qu’il est impossible encore aujourd’hui, cent ans après qu’elle a été écrite, de savoir si les termes en sont sérieux ou s’il ne faut les prendre que pour un persiflage de l’esprit le plus délicat. « Les professeurs, écrit le vieux savant au ministre, ont partagé unanimement les sentimens que t’a inspirés le frère de l’ami du peuple, de l’homme qui a défendu ses droits avec tant de courage et qui a si bien servi

  1. Archives nationales F-17 1131 (lettre du 19 ventôse an II).
  2. Lettre des professeurs du Muséum au citoyen Paré, ministre de l’intérieur, 19 ventôse an II. (Archives nationales F17 1131.)