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l’éclat de sa fraîcheur, c’était une grande scène lumineuse en-couleurs d’aurore, une scène triomphale : « le Soleil levant qui chasse les méchans démons de la Nuit. » L’allégorie était parlante et parlait clair. Au-dessous du cortège, à côté de l’Océan et d’Amphitrite encore endormis, une figure, la tête levée, les bras vers le soleil attendu, semble crier : Adveniat regnum tuum, Monseigneur, que votre règne arrive !


II

Au château de Rheinsberg, leurs altesses royales avaient auprès d’elles un service d’honneur et des amis. Le service était fait par des personnes choisies par le roi, presque toutes, et qui étaient agréables ; le prince avait recruté les amis avec soin. Il avait cherché des intelligences d’aptitudes variées, mais qui toutes fussent des intelligences. Il s’accommodait des variétés d’humeur, pourvu que la bonne humeur dominât. Il avait arrangé sa compagnie à son goût, comme il avait meublé sa maison, ou plutôt, il l’avait composée comme un concert ; il y présidait avec l’autorité et avec la grâce d’un chef d’orchestre habile et charmant.

Mme de Katsch, grande maîtresse de la princesse, avait les qualités de l’emploi : la soixantaine, un air de dignité et les manières de la grande politesse. Quand les convenances étaient en péril, ce qui arrivait de temps en temps dans cette jeune cour, elle présentait des remontrances en faisant une révérence profonde, mais elle n’était point revêche, ni trop grondeuse. Les demoiselles d’honneur étaient Mlle de Schack, point belle, mais qui avait la main bien coupée, et dont le joli pied dépassait toujours le bord du panier, et Mlle de Walmoden, une blonde gracieuse et vive, qui rappelait au prince les charmes d’Iris. Ces trois dames habitaient la maison ; d’autres y faisaient des visites fréquentes. Mme de Kannenberg, fille du général de Finkenstein, avait été la camarade du prince, qui l’aimait pour la communauté de leurs souvenirs et parce qu’elle était « née pour la société. » Mme de Mor-rien était la femme du grand-maréchal de la reine, un fort brave homme de qui l’on contait une histoire drôle. Un jour, sir Charles Hombury Williams, lui ayant adressé un de ses compatriotes, le comte d’Essex, qui désirait être présenté à la reine, avait terminé sa lettre par cette plaisanterie : « Vous pouvez être assuré que ce comte d’Essex n’est pas celui à qui la reine Elisabeth a fait couper la tête. » Consciencieux comme il était, M. de Morrien aurait jugé qu’il devait exactement répéter ces paroles à la reine de Prusse : « Madame, le comte d’Essex, mais je puis assurer Votre Majesté que ce n’est pas celui qui a été décapité par