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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/548

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son épouse à Neu-Strélitz pour y visiter son altesse Mme la duchesse sa mère et qu’elle emmené tous ses gens en gala, si bien qu’il n’est resté que la servante, le valet et la garde d’honneur.

Neu-Strélitz est à deux milles de Mirow ; Frédéric prit des chevaux à la poste et fit son entrée à midi sonnant, dans cette capitale, qui se composait d’une rue habitée par des gentilshommes de la cour, des employés et des domestiques. Il sut au château que Mirow était allé dîner à Konow, à un demi-mille de là. Comme il avait faim, l’officier qui l’accompagnait le mena dîner chez un gentilhomme de sa connaissance auquel il ne le nomma point. On parla du duc régnant de Strélitz, et en particulier de l’habileté de son altesse à coudre des casaquins, ce qui donna envie à Frédéric de la voir. L’altesse, à qui on le présenta comme étranger, le reçut avec bonne grâce, mais elle était si timide qu’elle n’eût pas ouvert la bouche si son conseiller, Herr von Altrock, — Monsieur du Vieil-Habit, — ne lui avait soufflé des paroles. Après l’audience, les deux cavaliers partirent pour Konow, une maison de chasse, le Versailles de Neu-Strélitz, flanquée d’un moulin. Frédéric entra au moulin d’où il se fit annoncer. Le maître des cérémonies vint le saluer et le conduisit à la maison. La famille allait se mettre à table. Après les complimens et les cérémonies, le prince de Mirow fit part à son hôte d’un accident déplorable : le meilleur cuisinier de la maison était tombé en revenant des achats ; il s’était cassé le bras et les provisions étaient gâtées. Frédéric fit semblant de croire ce conte ingénu. Il dîna moins bien que s’il eût été au cabaret à Potsdam, mais la conversation, digne d’une si noble compagnie, ne roula que sur les généalogies illustres : les Weimar, les Gotha, les Waldeck, les Hoym et quantités d’autres défilèrent sur le tapis jusqu’à ce que le prince de Mirow, las de se verser des rasades, levât la séance. Frédéric reprit le chemin de Rheinsberg, inquiet de la promesse que Mirow lui avait faite de lui rendre sa visite : « Il viendra certainement, mais comment me ferai-je quitte de lui ? Dieu le sait, Dieu seul ! »

Quelque temps après, Frédéric dormait tranquillement comme c’était son droit, puisqu’il était trois heures du matin, quand ses gens l’éveillèrent pour lui dire qu’une estafette était là. Il se lève en grande hâte. Quelle nouvelle un messager pouvait-il apporter à pareille heure ? Toutes les idées durent passer par la tête du prince, et je pense qu’il ne fut pas maître de ne pas penser au premier moment que, peut-être, il lui était arrivé le grand malheur de perdre son gracieux père. L’estafette lui remit une lettre du prince de Mirow, qui annonçait son arrivée pour le jour même, à midi. Frédéric, pestant contre l’esbrouffe de ce message nocturne de voisin à voisin, donna cependant des ordres pour que son hôte fût