personnalité contre tout contact. — Rien de plus agréable en rentrant du bureau que de se balancer en bras de chemise dans son rocking, les pieds sur la cheminée, et de chantonner : Home, sweet home ! c’est-à-dire, en Amérique : « Qu’il est bon de ne pas être chez les autres ! »
Que faire dans cette cloche à plongeur, sous laquelle l’Américain traverse la vie, sinon pousser en soi le développement de l’individu, et dans cette exploitation du continent que la race a entreprise, se hausser jusqu’aux premiers rôles, moins pour accumuler des dollars que pour déployer toute son activité, pour imposer ses idées et sa volonté, pour se donner la sensation de la puissance[1]. Un type idéal règne dont la foule parle avec enthousiasme, dont les jeunes filles rêvent : chacun travaille à s’y conformer, à prouver qu’il possède au degré suprême les facultés d’action qui font ici la valeur de l’homme. On ne connaît guère en Amérique le petit épicier de Coppée, les petits employés de Maupassant, les êtres falots, résignés et mélancoliques, qui broutent jusqu’à la vieillesse au bout d’une longe dans le même pré pelé, et trottinent entre les mêmes brancards ; on refuse de tracer à l’avance le cercle dans lequel on enfermera sa vie, de se tailler sa part une fois pour toutes, comme nos fonctionnaires pour qui l’heure décisive fut celle où à vingt ans ils réussirent une certaine « copie » à l’École normale ou à l’École polytechnique. De même, arrivés à la fortune, ils ne placent pas leurs dollars pour en jouir tranquillement, leurs capitaux qui grandissent ne leur servent qu’à pousser de plus grandes affaires. Tel millionnaire malade de la poitrine, qui passe l’hiver dans la Floride, se renseigne, pour s’occuper, sur les ressources du pays. Le soir, il se balance dans son fauteuil sous la vérandah avec ses compagnons de table d’hôte. Tout en causant, il leur vient une idée ; il y a telle mine abandonnée que l’on pourrait racheter, telle ligne de chemin de fer que l’on pourrait créer. Ils s’associent : six mois après on ouvre la nouvelle voie ou les hauts-fourneaux commencent à flamboyer. Voilà leur façon de se distraire. — À côté de cette tension continuelle de l’intelligence et de la volonté, que notre façon de vivre semble douce et facile ! Quand on s’est promené sur le « cours » d’une petite ville de province, dont les habitans vont jouer aux boules le long du canal, ou bien flânent endimanchés autour du kiosque où la musique militaire rythme une polka de Lecocq, on comprend l’impression de l’Américain de M. James à la vue de nos bourgeois parisiens. On conçoit ce qu’il entend par
- ↑ Voyez la belle nouvelle de M. Gaulieur, Pick Jones de Chicago, dans les Études américaines, et le Silas Lapham, de Howells.