Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’enceinte ainsi délimitée et protégée, il y a un tertre, un agger, qui est, après le fossé rempli d’eau, une nouvelle fortification. Cet agger est formé de terre et comme muré au côté intérieur par des gabions, par des fascines et des pieux entrelacés dont les traces n’ont pas entièrement disparu. Tous les vestiges de ces habitations où n’entrait pas la pierre, et ceux du partage des lots à chaque famille s’étant effacés, il est impossible de ressaisir les deux lignes d’orientation qui étaient sans doute marquées par les alignemens ; toutefois, M. Pigorini vient de retrouver dans une vaste terramare située près de Parme, au milieu du côté sud du quadrilatère, les débris d’un pont de bois ; il ne doute nullement qu’une nouvelle recherche ne lui fasse découvrir, au milieu du côté opposé, les débris correspondans : la ligne transversale, du sud au nord, ainsi indiquée était, suivant lui, le cardo.

Plus de cent exemples de ces cités primitives à la forme quadrilatérale, munies du fossé et de l’agger, et dûment orientées, peuvent être observés, de nos jours encore, dans la seule Emilie, c’est-à-dire dans la région de Plaisance et de Bologne. Il est clair que le grand nombre des exemples est ici un grave témoignage qui importe à la démonstration. Au reste, les plus anciennes villes étrusques, d’une date moins ancienne que les terramares, puisque les restes des constructions en pierre y apparaissent, semblent offrir les mêmes indices, et il est vraisemblable, en effet, que les Étrusques aient été mêlés à la race à côté de laquelle ils se sont établis. Dire que les conclusions de l’école paléo-ethnographique italienne soient dès maintenant adoptées sans conteste et définitivement entrées dans la science serait peut-être prématuré : l’important est de multiplier les observations précises. Le jour où ces résultats seront vraiment acquis, une très intéressante conquête scientifique aura été faite, le mot de préhistorique aura beaucoup perdu de sa signification ; il faudra enregistrer un tel succès à côté de ceux de la philologie comparée. Ce sera un bel exemple de longue transmission à travers les âges que d’entendre un écrivain de l’époque antonine tel que Plutarque recueillir, en racontant la fondation de Rome, les traditions primitives de la race italique. Ne voyons-nous pas au reste Tite-Live admettre comme à son insu, c’est-à-dire sans en remarquer la portée, des souvenirs de ce que les savans modernes ont appelé les âges de pierre et de bronze, quand il mentionne, par exemple, le soc de bronze adapté à la charrue du roi-fondateur, quand il cite le fameux pont de Rome, dans la construction duquel nul fer ne devait entrer, quand il rappelle le rite sacré selon lequel la victime doit être égorgée avec un silex aiguisé ?