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d’en avoir l’air, dit la veuve courroucée. Il paraît que vous vous êtes encore querellé avec Maisie !

Ceci voulait dire que le baiser du soir, baiser réglementaire, avait été omis ; Maisie, blanche jusqu’aux lèvres, tendit sa joue d’un air insouciant et fut embrassée par Dick, qui sortit de la chambre, rouge comme braise. Cette nuit-là, il fit un rêve tumultueux. Il rêva qu’il avait gagné le monde et l’apportait à Maisie, dans une boîte à cartouches, mais elle renversait la boîte du bout de son pied, et, au lieu de dire merci, criait :

— Où est le collier que tu as promis pour Amomma ? Égoïste ! égoïste que tu es !


II

On ne peut reprocher à cette idylle brûlée de poudre la fadeur ou la mièvrerie ; néanmoins, comme s’il craignait de devenir par hasard sentimental, M. Rudyard Kipling se hâte d’abandonner la femme, dont, grande ou petite, il fait peu de cas, pour transporter son héros dans un de ces décors guerriers qu’il excelle à peindre et qui ont assuré le succès de ses Plain tales from the hills. Nous voici au Soudan. Gordon va périr en défendant Khartoum. Chaque matin, le vertueux public britannique, — amis de la justice, pères de famille exemplaires, — se précipite avidement sur son journal, en quête d’une émotion avant déjeuner, profondément déçu quand il ne trouve pas un récit vrai ou faux sur le héros du moment. Et on lui en prodigue à souhait de cette correspondance sensationnelle, car le nombre est infini des reporters qui suivent les troupes, ignorans presque autant qu’elles-mêmes de la conduite de l’expédition, fort indifférens à la politique, ambitieux purement et simplement de profiter du caractère pittoresque de la campagne pour faire du style à tant la ligne. Ce n’est pas sans péril, d’ailleurs, qu’ils pratiquent ce métier ; ils se sont familiarisés avec toutes les privations, toutes les misères ; même de temps en temps un spécial est tué, ce qui ne nuit pas, loin de là, au journal qui l’employait. Plus souvent, ces messieurs l’échappent belle et le genre de combat qui se livre autour d’eux produit des aventures merveilleuses qui valent la peine d’être télégraphiées moyennant dix-huit pence par mot. Au nombre de ces journalistes nomades, il y a de tout, depuis les vétérans arrivés sur les talons de la cavalerie qui occupait Le Caire en 1882, lorsque Arabi-Pacha s’intitulait roi, jusqu’à des novices lancés, pour ainsi dire, au bout d’un fil électrique pour venir prendre la place de leurs anciens tués, blessés ou malades. En tête se distingue un nommé Torpenhow