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maison. Comme il aimait le plaisir et les distractions, il entretenait deux troupes de comédie, l’une française, l’autre italienne. On a le souvenir d’une troupe ambulante qui, en 1621, donna à Bourges quelques pièces de théâtre dont on n’a plus les titres. Cette troupe s’intitulait les Tragiques Histrions de Sa Majesté ; une autre s’appelait les Comédiens françois. Le prince avait une fort belle vénerie et un équipage de fauconnerie. Par cette vie pleine d’amusemens et de distractions de toute sorte, il cherchait, croit-on, à se faire oublier du cardinal, qui, l’œil toujours vigilant, le considérait comme un ambitieux capable de tout entreprendre si une occasion favorable d’augmenter sa puissance venait à se présenter. Sa joie fut grande lorsque sa femme, Marguerite de Montmorency, lui donna, le 7 septembre 1621, un fils, celui qui devait être un jour le grand Condé. L’héritier de ce grand nom fut conduit à Montrond, dont l’air « doux et bénin, » a dit un serviteur du prince, devait admirablement lui convenir. En août 1628, une nouvelle peste, plus terrible que les précédentes, vint jeter la terreur chez les habitans du pays berrichon.


Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.


Au présidial, il ne resta qu’un conseiller ; du clergé, deux membres seulement ; de l’université, un seul docteur en médecine, Jacques Lebloy. Quatre jésuites, quatre capucins et un seul prêtre séculier affrontèrent l’épidémie pour porter les secours spirituels aux malades. Tous les autres avaient pris la fuite, ainsi que six mille habitans de la ville de Bourges. Malgré tant de calamités, il fallut que les survivans, misérables et appauvris, célébrassent en grande pompe, et avec des transports de joie, les fêtes prescrites par le roi à l’occasion de la prise de La Rochelle.

Le jeune prince de Condé, ou plutôt le duc d’Enghien, fit de fortes études à Bourges au collège des jésuites ; puis il s’installa au château de Montrond, l’ancienne magnifique résidence de Sully, transformée si bien en forteresse qu’elle fut le dernier et l’un des puissans refuges des chefs de la Fronde. Très amateur de chasse, il sut réprimer cette passion sur un simple avis que lui donna son père, et la réponse qu’il fit à ce dernier indique déjà avec quelle facilité le futur héros de Rocroy pouvait passer d’un grand entraînement à un calme parfait. « J’ai entretenu, il est vrai, répondit-il à son père, plus de chiens que le besoin ou le plaisir de la chasse n’en exigeait : vous pardonnerez cette faute à ma première ardeur pour cet exercice. C’est une manie ordinaire à tous les