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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/702

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d’exploration lointaine, la réforme religieuse et les commotions qu’elle produisait dans toute l’Europe, avaient singulièrement agrandi le champ des curiosités humaines. A la fin du XVIe siècle, au commencement du XVIIe, le nouvellisme était devenu une fureur. Il y avait dans toutes les capitales des hommes qui, comme le maniaque de Visé, se piquaient de deviner les pensées secrètes des princes et de savoir exactement à quoi se montaient le trésor et l’armée du grand seigneur. Tel d’entre eux, alité, la mort entre les dents, suppliait encore sa femme, son médecin, son apothicaire, d’aller lui chercher quelque nouvelle :


S’ils n’en apportaient pas, il leur faisait la mine,
Et nous étions obligés quelquefois
D’en inventer entre nous trois
Pour l’engager à prendre médecine.


M. Hatin a remarqué qu’après avoir été une manie, le nouvellisme était devenu un métier lucratif. De grands personnages prenaient à leurs gages des informateurs chargés de leur rapporter les bruits du jour, les contes de ruelles, les anecdotes édifiantes ou scandaleuses qui couraient la ville. Ils avaient un nouvelliste comme ils avaient un maître d’hôtel et un cocher. A la vérité, ils le payaient mal. Le duc de Mazarin, le compte de ses recettes et de ses dépenses en fait foi, donnait 10 livres par mois au sieur Portail « pour les nouvelles qu’il fournissait toutes les semaines par ordre de Monseigneur. » Sans doute, Monseigneur en avait pour son argent. Il arriva que dans certains cercles on tint registre des nouvelles reçues ; on en tira copie, et ces copies étaient distribuées à profusion. Bientôt ce commerce clandestin-se régularisa. Chaque cercle eut son bureau de rédaction, ses correspondans en province et ses abonnés payans. Comme on le voit, des nouvelles manuscrites au journal il n’y avait qu’un pas. La poire était mûre, et Renaudot n’eut que la peine de la cueillir[1].

Les gazettes à la main, pleines de commérages, de médisances, renseignaient leurs abonnés sur les intrigues de cour, sur les menus faits, sur tout ce qui se passait dans les coulisses de la politique et dans les alcôves. Ceux qui s’intéressaient davantage aux grands événemens en trouvaient le détail dans des relations imprimées, qu’on appelait en Allemagne des Newe Zeitungen et qui n’avaient cessé de se multiplier pendant tout le XVIe siècle. Découvertes importantes, fêtes de cour, aventures de guerre, faits d’armes, exécutions, procès de sorcières, météores et comètes, tels étaient les sujets variés que ces journalistes intermittens traitaient soit en vers, soit en prose. S’il en faut croire M. Zenker, c’est à Vienne que parurent les premières

  1. Histoire politique et littéraire de la presse en France, par Eugène Hatin, t. Ier, p. 49.