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relations en lettre moulée, et il n’y a pas lieu de s’en étonner. Vienne, résidence impériale, était le centre de la politique européenne ; princes et souverains s’y rencontraient et il s’y donnait de grandes fêtes. Au surplus, l’art de l’imprimerie y avait eu de bonne heure des représentons de grand renom, et les postes autrichiennes valaient celles des pays les plus avancés. Dès le xiv6 siècle, Vienne avait des départs de courriers à jours fixes pour Gratz, pour Linz et autres villes, et dès 1516 des communications régulières avec Bruxelles.

La plus ancienne de ces relations qu’on ait retrouvée est de l’an 1488 ; c’est un bulletin destiné à rassurer le peuple sur la santé de l’archiduc Maximilien, alors prisonnier des Brugeois. En 1493, un autre bulletin, de source officielle, raconte les obsèques de l’empereur Frédéric III. Mais les chroniqueurs ne s’occupaient pas seulement des empereurs et des princes, de leurs carrosses dorés, ou des victoires et des défaites du Grand-Turc. Ils racontaient des famines, des apparitions d’astres chevelus et fatidiques, des pullulations miraculeuses de vipères et de lézards, des aventures et des crimes, l’histoire d’une femme vendue par son mari à des brigands et celle d’une jeune servante qui s’était donnée au diable pour six ans et qu’on avait vue disparaître un jour dans un tourbillon de poussière. Souvent la même feuille volante contenait plusieurs récits. On apprenait en la lisant que dans certaine ville de Hongrie, une femme avait accouché d’un enfant à trois têtes, à trois bras et à trois jambes, et que les Turcs contraignaient leurs prisonniers chrétiens à adorer un chat pendu à une croix. A l’origine, le premier venu pouvait publier avec autorisation des bulletins et des récits ; plus tard ce droit fut un privilège, un monopole concédé à certains éditeurs qui offraient des garanties au gouvernement, et ces éditeurs imaginèrent bientôt de publier leurs bulletins aux jours marqués où partait l’ordinaire. Désormais Vienne posséda ses journaux imprimés et périodiques ; vers l’an 20 du XVIIe siècle, elle en avait jusqu’à trois, que, sans se mettre davantage en frais d’imagination, on baptisa du nom d’Ordentlichen Postzeitungen, Ordinari Zeitungen, Ordentlichen Zeitungen. Quant aux gazettes à la main, on eût beau leur donner la chasse, elles subsistèrent longtemps encore ; elles avaient le charme du fruit défendu. On écrit beaucoup de choses qu’on n’oserait pas imprimer et les marchandises de contrebande sont toujours recherchées.

Le journalisme a eu partout non-seulement les mêmes origines, mais la même histoire, les mêmes destinées, ou peu s’en faut. Partout il s’est développé par degrés, en proportionnant l’offre à la demande. Avec le temps, les gazettes hebdomadaires ont paru deux fois chaque semaine. Le premier journal quotidien paraîtra à Londres le 11 mars 1702 ; la France n’aura le sien qu’en 1777 ; ce sera le Journal de Paris, dont Garat disait : « Un journal de tous les matins était tellement