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désarmer, à la désorganiser, pour ne pas trop offusquer le conseil municipal de Paris. Le peu qui en reste, c’est un vrai hasard, et le résultat est que le jour où on en a besoin, cette police maltraitée, décriée, troublée dans le sentiment de ses devoirs, est impuissante, au moins un peu surprise. M. le préfet de police a vraiment à déployer de la bonne volonté pour remettre son armée sur pied. Ce n’est pas tout : on trouve, non sans raison, que les anarchistes deviennent menaçans et criminels par ce qu’ils appellent la « propagande du fait, » c’est-à-dire de la dynamite ; mais ce n’est pas d’aujourd’hui qu’ils se préparent à leur sinistre besogne. Ils n’ont pas caché leurs idées, si on peut appeler cela des idées ; ils ont avoué tout haut leurs haines, leurs projets. Depuis dix ans, leurs réunions sont des foyers de démagogie révolutionnaire, de subversion morale et politique, de propagandes corruptrices : on a laissé tout dire de peur de paraître réprimer des opinions ; on voit maintenant ce qui en résulte. Qu’on vote donc des lois nouvelles, si on les croit nécessaires, et qu’on poursuive une campagne de sûreté publique contre les malfaiteurs de la dynamite, ce sera fort bien ; mais la première condition est certainement de rendre à une société ébranlée et inquiète la garantie d’une police raffermie dans ses devoirs et d’une meilleure hygiène morale.

Est-ce qu’on croit sérieusement qu’il n’y a pas un lien profond, inavoué si l’on veut, entre ces dangereux progrès des mouvemens anarchistes, et les scènes qui viennent de se passer dans quelques églises de Paris ? En réalité, ce n’est ici qu’un autre genre d’anarchie, tout au moins un grand et pénible désordre. Pour la première fois, depuis bien des années, depuis la Commune, on a eu ce triste spectacle des temples religieux violés, transformés, comme l’a dit l’autre jour M. le président du conseil, en théâtres de conflits bruyans, de rixes et de tumultes. On n’a point, il est vrai, fait sauter les églises ; mais on les a envahies avec préméditation, avec une intention évidente d’agitation. C’est ce qui est arrivé à Saint-Merri, à Saint-Joseph, ce qui peut arriver encore ailleurs. Sur un mot d’ordre d’on ne sait quel « comité central révolutionnaire, » on s’est rendu en nombre dans ces églises comme dans des réunions publiques ouvertes à tous les tapages. On s’est donné, en l’absence de toute police, le plaisir de faire une manifestation anticléricale, d’interpeller violemment le prédicateur et même d’escalader quelque peu la chaire, de menacer d’un assaut le sanctuaire ; on a fait le plus de vacarme qu’on a pu et on a chanté en guise de cantique la Carmagnole, en molestant ceux qui n’étaient là que pour entendre un sermon, pour assister à une cérémonie de leur culte. Comme c’était inévitable, les esprits se sont montés, les rixes n’ont pas tardé à éclater. Chaises et prie-Dieu ont volé sur la tête des assistans inoffensifs ; il y a même des députés, des conseillers municipaux qui se sont vantés d’avoir conduit la