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poursuite divine des lignes les plus belles et les plus harmonieuses. Kepler admettait aussi les forces occultes, et s’il devinait que la lune produit les marées, il lui attribuait aussitôt la vertu étrange « d’astre humide. » C’étaient toujours les composés et leurs « qualités, » non les élémens et leurs rapports « quantitatifs » que poursuivait la science de l’antiquité et du moyen âge. Si donc il est vrai de dire, avec Kant, que l’explication finaliste est celle qui cherche la raison des parties dans le tout qu’elles forment, comme la raison d’un organe dans l’organisme entier, au lieu d’expliquer le tout par les parties et l’organisme par les organes élémentaires, nous pouvons conclure que la science de l’antiquité et du moyen âge, en son ensemble, lut une vaste spéculation sur les causes finales, par conséquent une esthétique, une morale et, en dernière analyse, une théologie ; car le principe suprême de l’ordre, du beau, du bien, de la finalité sous toutes ces formes, c’était Dieu. On croyait que, déroulant le plan divin, la nature même procédait des idées aux choses, par conséquent du général au singulier, et descendait, pour ainsi dire, du but universel préalablement imposé par Dieu à la série des moyens particuliers capables de l’atteindre.

A la Renaissance, deux grands courans se produisirent, de plus en plus irrésistibles, qui allaient aboutir à la révolution cartésienne : on peut appeler l’un le courant expérimental, l’autre le courant mathématique. Les grands initiateurs de la Renaissance renouvellent partiellement et la méthode et les diverses sciences. Léonard de Vinci, non moins savant qu’artiste, excite à l’observation de la nature, dont l’expérience, dit-il, est la « seule interprète ; » il faut donc consulter toujours l’expérience, et la varier de mille façons. D’autres observateurs étudient les êtres vivans, — Rondelet, Vésale, Servet, Aselli, Harvey, — non sans mêler bien des chimères à leurs observations. En somme, les physiciens et les naturalistes avaient beau induire et expérimenter, la théorie même de l’induction et de l’expérimentation était toujours représentée comme une recherche des essences, des qualités propres aux choses, des formes sous lesquelles elles se révèlent à nous, enfin des puissances et des forces qu’elles enveloppent. D’autre part, les mathématiciens ne songeaient guère à universaliser leur science : ce qu’ils cherchaient dans les nombres et les figures, c’était toujours la qualité plus encore que la quantité et les rapports abstraits. La géométrie et l’arithmétique demeuraient des spécialités et même, en grande partie, selon le mot de Descartes, des « curiosités. » On s’amusait à résoudre des problèmes et à s’envoyer des cartels mathématiques d’un bout de l’Europe à l’autre, pour se disputer l’honneur d’avoir deviné quelque énigme. C’étaient de vastes