propre et inhérente : chaque ensemble de mouvemens que nous appelons une pierre, un arbre, ou même un animal, et que nous individualisons, n’est, au point de vue physique, qu’une partie inséparable d’un ensemble de mouvemens plus vaste, qui l’englobe ; et cet ensemble, à son tour, renferme d’autres mouvemens et d’autres encore, à l’infini, puisque l’étendue est indéfiniment divisible et même indéfiniment divisée par le mouvement qui anime chacune de ses parties. C’est un tourbillon de tourbillons où le regard se perd, comme à compter, dans un gouffre d’eau tournante, les gouttes d’eau qui passent, reviennent, passent. Une chose, dans la nature, n’est donc qu’une portion de la quantité universelle, qui est l’étendue. Et maintenant, qu’est-ce qu’un a accident » inhérent à la chose ? L’odeur, la saveur, sont en nous, non dans le corps odorant ou sapide. Quant au mouvement, il n’est pas un « accident » de la masse car la masse elle-même n’est rien, sinon l’expression d’une certaine quantité de mouvement ; et, d’autre part, dira-t-on qu’un mouvement soit « l’accident » d’un autre mouvement, auquel il serait « inhérent ? » Imaginations. Il n’y a donc point « d’accidens ; » il n’y a qu’une étendue essentiellement mobile et où le mouvement, par des lois nécessaires, détermine des figures de toutes sortes. Ces figures mêmes, encore une fois, sont des résultats, non des principes. Un mouvement est rectiligne ou curviligne en vertu des liaisons de ses parties : il n’est pas dépendant de la ligne droite ou de la ligne courbe, qui ne lui importent guère. C’est nous qui trouvons, après coup, que tel mouvement a décrit une ligne droite ou une courbe, et nous nous extasions devant des harmonies qui n’existent que pour nous et par nous. Les noms et les qualités que nous donnons aux choses, nos substantifs et nos adjectifs, tout cela n’est que de la langue humaine : la nature ne connaît que l’alphabet mathématique.
Comme les genres et les espèces, l’ordre, la symétrie, la beauté, n’existent pas dans les choses, mais en nous. Sans doute Descartes admet un ordre universel, mais purement logique et mathématique ; une symétrie, mais résultant des lois du nombre et de l’étendue, non antérieure et supérieure à ces lois ; il admet une beauté, mais identique à la vérité même et parfaitement indépendante de ce qui peut plaire ou déplaire à nos sens. La beauté d’un paysage, en tant qu’elle résulte de couleurs, de sons, d’apparences sensibles qui nous charment, est nécessairement en nous, puisque tout ce qui la compose n’est qu’en nous. Le fond réel de la beauté est mathématique : les sons qui nous ravissent sont ceux qui ont entre eux « des rapports simples ; » le plaisir n’est qu’une